Collectif Solidarité
Al Qarara
Collectif Solidarité Palestine Mairie de St Pierre d'Aurillac 124, av. de la Liberation 33490 St Pierre d'Aurillac
collectifalqarara@gmail.com
N° CCP : 1222435 S 022
153 histoires de vie sous les bombardements
LA VIE SOUS LES BOMBARDEMENTS
La vie sous les bombardements1
Notre âne
Et son petit ânon ont quitté notre village. Abu Zureiq a dit : « Laissez votre âne avec nous, je lui donnerai de l'eau. » Il a eu un large sourire et il a dit : « Je ne suis pas responsable des bombardements ". Nous lui avons souri à la dérobée, puis nous avons emmené nos moutons dans un autre endroit près du Darawsha. « Je vais les nourrir et les abreuver, et vous pourrez également être hébergés », nous a-t-on dit. Nous avons bu du thé fort et sommes partis au milieu des bombardements et de la fumée dont nous sommes cernés de près comme de loin.
La vie sous les bombardements 2
Il n'y a ni pain ni eau dans le refuge.
Nos femmes sont dans la chambre 13, comme l'appelle le directeur du refuge. Quant à la grande tente, elle a été transportée en charrette à âne, et ses piquets plantés le long du bâtiment, à proximité du couloir central de l'école, malgré la forte objection de l'administration. Un comité a nivelé le sol de la tente et un baril d'eau y a été ajouté. Un comité alimentaire a ajouté du gaz provenant de la maison d'Abu Ahmed pour préparer les repas et faire du pain, et un comité social surveille les jeux des enfants et évite les bêtises dans ce lieu qui en abrite des centaines. Quatre-vingts matelas ont été distribués à des milliers de personnes âgées. Evidemment cela n'a pas suffi.
La vie sous les bombardements 3
Najwa
Le bombardement s'intensifie, il y a des nuages de fumée et de poussière, des pierres et des morceaux de fer projetés dans toutes les directions, le bruit du verre brisé, des morceaux de bois et des morceaux de corps partout qui ont rendu méconnaissable la rue et ses environs. Najwa et sa nombreuse famille ont fui vers le centre-ville. Après la fatigue de la journée, ils se sont installés au deuxième étage. Bruit, cris et chaos dans les lieux. Najwa a évacué en serrant sa petite fille dans ses bras. Deux heures plus tard, elle s'est enfuie à cause d’une fausse alerte, répétée deux fois en trois jours. Ils ont finalement décidé de rentrer chez eux au village après quatre jours de fuite sans but.
La vie sous les bombardements 4
Shiha refuse d'évacuer.
Shiha a donné naissance cet été à trois chiots dont un blanc et gris que nous avons nommé Bayoud. Bayoud court après sa mère dans le champ en aboyant et en empruntant sa voix rauque. Il nous taquine avec une tendresse enfantine, lève la tête lorsqu'il entend un chien aboyer au loin, et nous laisse aller enquêter. Shiha et Bayoud restent près de nos terres agricoles, qui longent la ligne d'armistice. Nous ne savons pas ce que sont devenues les plantations de menthe, ni le millier de plants de piment repiqués deux semaines avant la guerre. Peut-être que Shiha et Bayoud gardent encore les lieux; peut-être ont-ils été touchés par des obus d'artillerie et blessés; peut-être que la vie nous permettra de les revoir. Alors nous replanterons à nouveau la menthe et le piment.
La vie sous les bombardements 5
Saber
Il s'aventure souvent du lieu de refuge jusqu’à l'abri de ses moutons, de chemin en chemin, de ruelle en ruelle pour rejoindre ses trois brebis afin de les abreuver et les nourrir. Il les regarde manger alors que le rugissement des avions ne cesse pas et que les bombardements s’abattent un peu partout. Il les a observées en leur disant adieu. Il ne les reverra peut-être plus. Il sourit et se demande: « Qui mourra en premier, moi ou mes moutons ? Peut-être que nous survivrons, et que la vie sera longue pour eux et pour moi. Alors je les mènerai paître et je chanterai les chants de la vie des matins de ma jeunesse. »
La vie sous les bombardements 6
Youssef et Hamad
Ils ont fui le village jusqu'au fond de la ville, avec leur petite radio. Ils ont eu du mal à trouver une chambre à louer. Youssef aime la musique, et Hamad suit de près les nouvelles de la guerre. Ils ne sont pas d'accord. La cafétéria d'Abu Alhaj fonctionne dans la rue parallèle à leur salle des marchés. Youssef dit à Hamad : « Allons boire du thé au café d'Al-Haj. » Ils ont gravi les longs escaliers et se sont assis à une table dans un coin du café. C’est alors que le café a été bombardé et que Youssef et Hamad sont morts en martyrs avec quinze autres personnes.
La vie sous les bombardements 7
Nadia
C'est ainsi qu'elle est née, avec une seule jambe et la moitié d'une main. Elle peigne ses beaux cheveux de sa main droite. Elle écrit et dessine une rose et un grand arbre vert avec des oiseaux colorés et, au-dessus, un ciel bleu clair. Elle dit à son institutrice: « Je veux devenir une scientifique de l'espace ou au moins une experte en météorologie et en géographie. »
Dimanche après-midi, le bombardement a frappé leur maison. Ils ont cherché longuement et en profondeur Nadia, sous les pierres et les décombres.
Lors d'un enterrement de sept personnes, Nadia a été renvoyée dans l’autre monde.
La vie sous les bombardements 8
Mahmoud... Mahmoud
Tariq, Hassan et Mahmoud, âgés d'à peine dix ans, sont amis de guerre. Tariq a fui Al-Qarara, Hassan le Wadi Gaza et Mahmoud son quartier. La guerre et leur passion pour le jeu les ont réunis. Entre les bombardements, le football, la marelle et la flûte les occupent. Personne ne demande à l'autre autre chose que son prénom. Maintenant il n'y a plus de file d'attente à l'école, plus de devoirs, pas d'électricité, pas de télévision, plus de Real Madrid ni de championnat. Leurs sacs sont restés dans la maison qu’ils ont dû quitter. Ils ne pensent pas à la date de leur retour, ils n'ont pas le temps de s'occuper des détails ou de se faire dorloter. Au cours d’une partie, le ballon a échappé aux enfants et Mahmoud a voulu le rattraper. L'avion a déversé sa lave. Ils se sont allongés par terre. Leurs vêtements se sont couverts de pierres et de poussière. Le lendemain, ils ont recommencé à jouer. Sans Mahmoud.
La vie sous les bombardements 9
L'ami Abou Al-Abd
A deux heures du matin, ils sautent hors de leur lit, effrayés. De la fumée et de la poussière, et de petits éclats de pierre jaillissent comme des balles autour d'eux. L'explosion est violente. Les murs vacillent comme lors d’un tremblement de terre, des morceaux de fenêtres tombent. Du bruit et des cris retentissent dans toutes les directions. Abou Kamal crie, demandant à tout le monde de se calmer. Un groupe de femmes s'est réfugié derrière un mur épais, craignant qu'un autre missile ne soit lancé, alors que le rugissement des avions est partout. Saeed déclare « C'est la maison d'Abou Nawfal.» Alaa s'est rendu sur le site de l'explosion. La maison n'était qu'un amas de gravats. L'odeur de la poudre à canon emplissait l'espace. Les ambulanciers ont transporté les blessés et mis de côté les martyrs. Il n'y a pas de temps pour les mots ou les larmes. Sauf pour Abu Al-Abd : sa langue n'a pas cessé de prier jusqu'à ce que sa voix se brise. Puis il a continué à marmonner, ses larmes ruisselant comme une pluie devant le corps de son ami Nawaf démembré et couvert de sang.
La vie sous les bombardements 10
Les moutons de Salem
Le canon bombarde, boum ! Boum ! Des fragments sont projetés partout dans l'air. Salem demande à tout le monde de s'allonger et met sa main au-dessus de sa tête. Pas le temps de discuter ! Salem s'est enfui au centre d'hébergement de Khan Younès, sa femme et ses jeunes enfants ont fui vers la maison de leur grand-père dans la zone centrale. Le mouton et l'âne sont restés là-bas au loin dans la grange derrière la maison. Salem a rêvé qu'il rentrait chez lui et donnait à manger et à boire à l'âne et au mouton. Au réveil, il a enfilé sa veste noire, attaché ses vieilles chaussures et redressé son keffieh blanc. Il a cherché pendant des heures et n’a trouvé ni sa maison ni ses bêtes. De retour au refuge il a dit la prière de l'après-midi et s’est endormi.
La vie sous les bombardements 11
Nununis le chat
Il a fait ses adieux à sa femme, à ses trois garçons et à sa fille, Reem. Il portait des matelas. Le chat, Nununis, a sauté sur le toit de la voiture. Les bombardements se sont intensifiés. De la fumée s'est élevée derrière la colline d'Abu Attiya et une épaisse fumée noire est apparue entre les deux quinias géants. Le canon a tiré trois obus à l'ouest du village de Cheikh Hamouda. La voiture s'est précipitée vers le refuge. Le directeur du refuge a ouvert son ordinateur, a bougé ses doigts d'avant en arrière, de droite à gauche. Il a levé la tête, a posé quelques questions et a pointé de la main gauche, à travers la foule, la salle 19. Reem a cachée Nununis dans un sac sous son bras et a disparu parmi les gens, au milieu d'un bruit assourdissant
La vie sous les bombardements 12
Joue, joue
Le missile a rugi fort. C'était comme si le ciel s'était ouvert et une fumée noire s’est élevée dans les airs. Umm Nader a dit : « C'est la maison d'Umm Muhammad. Oh Seigneur, non, non.» L'avion a fait demi-tour et a envoyé un autre missile vers la maison d'Adel. Hamida a crié : « C'est interdit, c'est interdit, vous nous massacrez. »
Les martyrs et les blessés ont été transportés à l'hôpital voisin puis au cimetière. Les personnes en deuil ne se soucièrent ni des bombardements ni du rugissement des avions de reconnaissance.
Lina, la troisième fille, a crié à sa mère de lui ouvrir la porte pour qu'elle puisse sortir jouer, pour revenir peu de temps après en criant : « Fusée, fusée... sée...sée. » Sa mère l’a serrée fort dans ses bras, contre son cœur. « N'aie pas peur, n'aie pas peur. »
La vie sous les bombardements 13
La ferme d'Abou Al-Abd.
Le temps avait filé pour Abou Al-Abd et il s’était retrouvé soudain âgé de près de quatre-vingts ans, mince et grand avec une petite moustache. Abou aime tout le monde surtout les enfants. Tous les gens du quartier l'adorent. Il possède un vélo élégant. Son « compagnon » a, comme il le dit souvent, vingt ans. Il le répare lui-même. La ferme d'Abou Al-Abd est petite et très étroite. On y trouve des arbres fruitiers, une porte solide avec une serrure en fer, et une petite cabane, belle et spacieuse. Quand la guerre a éclaté les gens ont fui pour se réfugier chez leurs proches ou dans des abris. Les voisins n'ont pas réussi à convaincre Abou Al-Abd d'évacuer. Tout le quartier était triste. Les vieux et les jeunes pleuraient. La ferme a été bombardée. Avec les roquettes, Abou Al-Abd et sa ferme ont disparu.
La vie sous les bombardements 14
De l'eau pour les enfants
L'eau est proche de l'ancienne mosquée, la route est fracassée par l'intensité des bombardements, elle est pleine de nids-de-poule. Des drones tournent, portant la mort pour la distribuer gratuitement dans toutes les directions. Des F16 tournent pour se préparer à détruire une nouvelle maison, les enfants ont soif, sans thé ni lait. De maison en maison, ils se collent au mur à chaque explosion. La file d'attente vers l'eau est longue et les bombardements ne s'arrêtent pas. Une femme pleure abondamment, ses larmes coulent si fort qu’elles trempent son vieux châle. Elle rentre à midi avec un peu d'eau.
La vie sous les bombardements 15
L'histoire de Sami
Son fils unique, Kamel, est en première année à l'école. La vie est dure pour Sami. Après bien des souffrances il a obtenu un permis de travail de trois mois pour travailler derrière le mur, à la périphérie de Gaza. Quand la guerre a éclaté, il a été arrêté parce qu'il est originaire de Gaza. Il a eu les mains et les pieds menottés. Il a été torturé, suspendu dans les airs pendant de longues nuits, privé de sommeil. Ses mains ont pali. Il a été convoqué à plusieurs reprises pour un interrogatoire. Déplacé d'un endroit à un autre, on n'avait aucune nouvelle de lui. Sa famille (son fils, sa mère et sa femme) le croyait mort et l'a pleuré amèrement. Quelques semaines plus tard, des soldats l'ont jeté à la frontière pour qu'il puisse retourner auprès de sa famille dans le centre d'hébergement.
La vie sous les bombardements 16
Du pain et du sang
La boulangerie a cessé de fonctionner. Les bombardements ont mélangé le pain avec le sang. La longue file d'attente a disparu. Les gens se sont dispersés pour chercher du pain ailleurs. Salma a apporté du bois de chauffage et, dans l'étroite cour de la maison, elle a placé son vieux plateau sur le feu. Elle a tenté en vain d’atténuer au mieux la fumée car les drones surveillent et bombardent. Salma pose le pain sur le plateau, les mains tremblantes. Le bruit de l'avion se dirige vers les nuages, s'éloigne puis se rapproche. Salma a le cœur palpitant et elle crie pour éloigner les enfants de crainte que l'avion n’attaque, ou qu'il renseigne l’artillerie postée derrière la ville. Les enfants attendent avidement le pain chaud, et les bruits des bombardements approchent. Salma récite des versets du Coran et des incantations, et demande au Seigneur d'arrêter la guerre et de mettre fin à leurs souffrances
La vie sous les bombardements 17
Chauffeur de taxi,
Nassim est chauffeur de taxi. Il a une vieille Mercedes, aussi âgé que lui, digne d’entre au musée de l'automobile. Nassim travaille jour et nuit, dans le froid et la chaleur, pendant la paix ou la guerre. Ses histoires ne finissent jamais. Il n'a pas porté de masque pendant l'époque du Covid et il a continué à travailler. Il connaît chacun des gens du pays, les anciens comme les jeunes, élèves des écoles ou étudiants à l'université. Quand la guerre a éclaté. Naseem s'est enfui avec sa voiture et il participe au transport de ceux qui fuient la guerre vers des lieux plus sûrs. Il transporte, sur le toit de sa voiture, des tapis et des bagages qu’il attache avec une corde solide. La pénurie de gasoil ne l'empêche pas de continuer, A la place, il utilise l'huile de friture des fallafels.
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La vie sous les bombardements 18
L'ordinateur portable de Nisreen
Nisreen, diplômée du département informatique, la vingtaine conquérante, est grande et belle, organisée et assidue. Elle est fière de son bel ordinateur, qu'elle a acheté après avoir durement économisé
A cause de la guerre, elle a fui sa maison avec sa vieille mère. Elle s'est réfugiée, contre l'horreur des bombardements, sous une petite tente, à l'hôpital Al-Shifa. Elle s'est portée volontaire pour soigner les blessés venant de tous les quartiers de la grande ville. Elle écrit de ses doigts habiles, les noms des martyrs et des blessés. Son âme délicate ne supporte pas la vue des morceaux de corps. Elle essuie ses yeux de la main gauche, et quand de lourdes larmes s’écoulent, elle les éponge avec sa manche. Son élégant ordinateur stocke de nombreuses histoires, anecdotes et souvenirs.
Un mois après le début des bombardements Nisreen s'enfuit avec sa mère vers le sud, rompue de chagrin. Dans sa fuite vers l’inconnu, à la vue d’un tank, paniquée, elle perd son sac et son bel ordinateur.
La vie sous les bombardements 19
Ça chauffe, ça chauffe
Nadim est un enfant du cours moyen 2. Obéissant et appliqué, il adore étudier les mathématiques et jouer au football. L'après-midi, il aide son père dans leur petit magasin et, le vendredi, il va à la mer avec ses amis.
La guerre a éclaté. Des missiles ont été lancés. Le ciel s’est empli d'avions. Les nuages noirs et blancs des explosions se sont mêlés aux nuages venant de la mer. Les gens, les chiens et les chats se cachent des bombardements. Nadim continue à courir dans la rue, riant et pleurant. À chaque bruit d'explosion, il lève les mains, criant à pleine voix: « ça chauffe, ça chauffe », et toutes les tentatives de sa mère malade, de sa famille et de ses amis pour le persuader de se cacher, restent sans effet.
La vie sous les bombardements 20
Dr Hamed
Le Dr Hamed est calme, comme le murmure de l'eau dans un lac profond, aussi doux que le bruissement d'un arbre solitaire dans un désert lointain. Hamed parle peu. Il ne parle que lorsque cela est nécessaire. Il évite les discussions. Il ne déteste pas les gens, mais est plutôt solitaire, un peu misanthrope. Sa maison est proche de la ligne d'armistice. C'est une belle et élégante maison, avec des arbres, quelques roses et des fleurs alentour. La maison a été bombardée pendant la première guerre. Il l'a restaurée et embellie. Il a ajouté un nouveau bâtiment pour élever des pigeons, et il a replanté des roses et d’autres fleurs. Pendant la seconde guerre, la maison a encore été touchée. Sa famille et lui ont miraculeusement survécu. Il a, alors, décidé de construire une autre belle maison, loin de la ligne d'armistice, au milieu de la ville. Il a donc bâtit une demeure spacieuse, confortable et bien agencée disposant de nombreuses commodités. Lors du dernier conflit, la maison voisine a été bombardée, endommageant sa propre maison et la rendant inutilisable. Le médecin, bouleversé, a pleuré jusqu'à épuisement. Sa vieille mère l'a pris dans ses bras et ils ont pleuré ensemble.
La vie sous le bombardement 21
Je suis tout seul
Père, mère, frère, sœur, oncle et tante, papiers, certificats, attestations et contrats de vente… Il ne reste de la maison qu’un tas des pierres. Les panneaux solaires se sont envolés avant de retomber sur le toit de la petite maison de la vieille Sobha. La maison a été détruite et la vieille femme n’a pas survécu. Muhammad crie en regardant le ciel: « je suis seul, je suis seul. Pourquoi ne m'as-tu pas pris Seigneur ? Que vais-je faire ? Où puis-je aller sans maison et sans famille. » Il crie et se souvient de chacun des membres de sa famille. Plus tard les gens ont cherché Muhammad partout, mais ils ne l'ont pas trouvé.
La vie sous le bombardement 22
Imad Al Wahid
Au rez-de-chaussée vivaient grand-père et grand-mère, au premier étage vivaient l'oncle Khaled, sa femme et ses cinq enfants ; au deuxième étage vivaient la veuve Saada et ses deux enfants Nagham et Saad ; enfin, au troisième étage vivaient le plus jeune fils, Imad, son père, sa mère et ses quatre sœurs.
A l’hôpital, le docteur a dit: « Vous allez mieux maintenant, Imad. Vous pouvez sortir. » L'infirmière Nada a été prise de sanglots et a elle dit : « Où ira-t-il, Docteur ? Imad est le seul qui ait survécu à la destruction de sa maison. »
La vie sous le bombardement 23
Aïsha
AÏsha mène une vie simple, à l'est du village, dans une maison amiantée, avec son mari Nasser, handicapé, incapable de se déplacer. Leurs deux enfants vont au collège. Aïsha travaille comme femme de ménage dans une institution internationale. Elle entend parler des droits de l'homme, des droits de l'enfant et de la Cour internationale de Justice et de la CEDEAO. La guerre a éclaté, les chars ont envahi le village et la maison a été détruite. Le mari est mort. Il ne reste que des morceaux de sa chaise roulante brisée.
Aïcha crie et frappe avec ses mains la voiture de la Croix Rouge : « C'est ça les valeurs humaines que vous invoquiez inlassablement? Sortez de ce village. Sortez d’ici, espèces de menteurs ! »
La vie sous les bombardements 24
Saleh prend d'assaut la frontière.
Pour la première fois, il a franchi la ligne d'armistice. Depuis vingt ans, il voit les bananiers au loin, il observe les fortes lumières qui ne s'éteignent jamais et il craint le ballon espion suspendu dans le ciel. Il voit les pigeons et les oiseaux, qui franchissent la ligne d'armistice le matin et reviennent avant le coucher du soleil. Chaque matin il regarde l'armée patrouiller avec ses chenilles et ses chars interrompant le calme des lieux. Il entend les coups de feu et les balles tirées pour chasser les bergers qui s'approcheraient de la frontière. Saleh aspire à découvrir cet inconnu. Ce jour-là, sans hésiter, il est parti avec d'autres rebelles pour traverser la ligne d'armistice. Il a admiré les arbres, les ballons et les lumières vives. Il a erré dans le champ de bananes. Il n'est pas revenu.
La vie sous les bombardements 25
Boutique utile
Sa petite boutique, au coin de la grande rue, vend des bonbons aux enfants. Nafi a soixante-dix ans, il est petit et maigre. Il n'arrête pas de rire. Il raconte toujours les mêmes blagues mais rit comme s’il les entendait pour la première fois. Tout le monde l'aime et se rappelle ses blagues. Pendant la guerre, les gens ont fui, transportant autant de matériel que possible et cherchant des endroits plus sûrs. Nafi n'a pas écouté les conseils des adultes ni des enfants et n'a pas quitté son petit magasin. Au premier obus, Nafi s'est enfui vers le mur le plus proche, Il a succombé à la seconde explosion. Ses plaisanteries sarcastiques sont restées dans les mémoires et sur toutes les lèvres.
La vie sous les bombardements 26
Le bassin à menthe
Hassana a cinquante ans. Elle est très croyante. Elle croit que sa vie a été écrite par Dieu dans ses moindres détails. Hassana n'a pas eu d'enfants. Elle est généreuse, joyeuse, aime complimenter les gens et aide en toutes occasions.
Pendant la guerre, l'occupation a menacé à plusieurs reprises de démolir sa maison. La famille a emporté quelques-uns de ses biens et a fui à la recherche d’un endroit sûr. Sa sœur Samia a essayé de la convaincre de partir, en lui disant que l'occupation est raciste et meurtrière, et qu’elle perpétue une longue histoire de massacres et d'assassinats d'enfants et d'adultes. Pourtant Hassana est restée dans sa maison. Elle se réveille tous les jours, prie, nettoie la maison, prépare à manger et arrose le bassin de menthe au bout de la maison.
Quand l'avion a surgi dans le ciel, il a largué en rugissant un gros missile de derrière les nuages. Hassana est morte en martyre. Sa maison a été réduite à un tas de pierres et le bassin de menthe a disparu à jamais.
La vie sous les bombardements 27
Fabricant de fours
Abdallah est mince et grand. Il a perdu beaucoup de cheveux dès son jeune âge. Il a exercé de nombreux métiers: forgeron, plombier, concierge, charpentier, ou foreur. Abdullah adore fabriquer des fours en argile. Il les fabrique, puis les fait sécher au soleil dans la cour de sa maison. Il les vend à des musées ou pour des événements patrimoniaux.
Quand la guerre a éclaté, les gens se sont précipités pour se réfugier dans les écoles et les hôpitaux. L’électricité et l’eau ont été coupées. Bientôt on n’a plus trouvé de carburant. Les boulangeries ont été détruites par les avions et l’artillerie. Les gens ont recherché Abdullah. Abdullah qui s’était remis à l’ouvrage, ramassant de l’argile, construisant des fours, en se déplaçant d’un refuge à l'autre.
Les gens furent très tristes et pleurèrent abondamment lorsqu’Abdullah mourut alors qu'il pétrissait de la boue au fond de l'abri.
La vie sous les bombardements 28
Naeem et la guerre
Naeem aime la politique ; combatif, il discute argument contre argument, parle anglais et hébreu, en plus de sa langue maternelle. Il regarde "Al Jazeera" et "Russia Today".
Naeem a fui pendant la guerre et s'est réfugié dans les murs de l'école de l'UNRWA, Là, il discute et loue la résistance; maudit l'Amérique et la Grande-Bretagne; la France, Nasrallah et l'Iran. A chaque missile qui s’abat, il hurle: « bombarde-moi du ciel, ton feu ne m'effraye pas ». Au milieu de la nuit noire, un missile a brutalement illuminé le ciel, s’abattant comme un diable sur le bâtiment élevé à côté de l'école. Les gens sont terrifiés et les cris des mères et des enfants s’élèvent de plus en plus fort. Naeem s'est dépêché d'enfiler ses vieilles chaussures pour aider les martyrs et les blessés. Avec le missile suivant, les vieilles chaussures de Naeem se sont élevées vers le ciel et sont retombées au milieu de l'école.
La vie sous les bombardements 29
La brebis de Nima
La vieille Nima surnommée Al-Hajjah* a une seule brebis. Sa laine est belle, ses oreilles sont petites et ses yeux brillent comme des billes noires. Des brins aux couleurs du drapeau sont enroulés autour de son cou. Nima les a tissés de sa laine douce, lisse et délicate.
La guerre a éclaté. Al-Hajjah s'est enfuie avec sa brebis. Le propriétaire du refuge a refusé la brebis. Al-Hajjah a construit une petite cabane sur le mur extérieur du refuge donnant à la brebis avec sa propre nourriture. Elle et sa brebis faisaient le tour de l'abri en ramassant des restes de nourriture et des feuilles tombées des arbres secoués par le vent. Pui le bombardement s'est intensifié autour des abris. Al-Hajjah a serré sa brebis dans ses bras et a commencé à crier et à pleurer en maudissant la guerre.
* surnom de celle qui a fait le pèlerinage à la Mecque
La vie sous les bombardements 30
Professeur Noura
Noura est une enseignante intelligente, une militante sociale, créative dans son travail. Les élèves l'adorent et elle est l'amie de tous les enseignants. La guerre éclate, les écoles sont fermées, les routes sont bloquées. L'armée ordonne aux gens de se déplacer du nord vers le sud. Noura s'enfuit avec sa petite fille, chez un parent. Après cinquante jours de bombardements est arrivé le cessez-le-feu. L'armée refuse qu'elle rentre chez elle. Alors elle se joint à d'autres avec lesquels elle scande à pleine voix devant l'armée : « Laissez-nous. Ô meurtriers! » Noura, anéantie, pleurait à chaudes larmes lorsqu'elle a appris par ceux qui restaient que sa maison a été bombardée.
La vie sous les bombardements 31
L'oreiller de Sahar
Il portait leurs trois matelas, les couettes, les couvertures et l'oreiller de sa petite fille Sahar. Fayez Al-Najjar, sa femme et leurs enfants étaient heureux. Le cessez-le-feu a commencé il y a quelques minutes. Les bombardements ont cessé. Ils vont rentrer chez eux aujourd'hui, après cinquante jours. Ils vont déjeuner là-bas, chez eux. Ils vont allumer un feu de bois et préparer du thé. Tout le monde se sent joyeux, comme si c'était un matin de fête. Ils n'ont pas trouvé la maison, ni le chemin qui y mène. Les arbres et les oiseaux ont quitté les lieux. Les bombardements ont touché tout le quartier. Le père a dit : « Nous ne retournerons pas au refuge. Nous déjeunerons et dînerons ici, même si nous devons mourir ».
La vie sous les bombardements 32
Abou Saleh
Les habitants du quartier ont de nouveau fui. Eux et leurs proches venus du nord ont cherché de nouveaux endroits où s'abriter. Ils se sont dispersés. Certains d'entre eux se sont rendus à l'hôpital, à l'école ou dans des quartiers éloignés qu'ils pensaient plus sûrs. Mais Abou Saleh en a assez des déplacements, de la misère et de la peur. Il a insisté pour rester dans le quartier. Il suit les bruits des bombardements ici et là, voit la fumée qui monte, caresse les chats, et surveille les pigeons qui ont perdu leurs tours, et leur boussole pour les champs du voisinage. Il ressent la dureté de la vie, écoute le rugissement des chars qui s'apprêtent à prendre d'assaut les lieux, réfléchit à la façon de mourir. Après le passage du premier obus qui a bombardé le bâtiment voisin dont la partie orientale s'est effondrée, il a pensé à la vie et à sa valeur, s'est remémoré ses plus beaux souvenirs et s'est endormi.
La vie sous les bombardements 33
La fumée monte.
Faire du pain demande des efforts et du temps, mais les bombardements ne s'arrêtent pas, et le drone surveille les lieux, planant dans le ciel tel un faucon pèlerin, suivi de loin par l'avion F16, se préparant à de nouveaux tirs qui rivalisent avec les salves d'artillerie depuis la terre et ceux en provenance de la mer. C'est la confusion. Affronter le quotidien se mêle à la peur de la mort et de l’inconnu. Qui s’occupera de sa fille unique ? Qui célèbrera l’obtention du diplôme de Mohamed ? Qui plantera le blé et récoltera les dattes ? La fumée du pain se mélange à celle des bombes. Elle laisse le pain brûler pour échapper à la mort.
La vie sous les bombardements 34
Abou Karim*
Après vingt ans, le premier enfant était arrivé. Tous les habitants du village avaient fait la fête, une grande fête, dans une grande salle au centre de la ville. Les gens avaient dansé et chanté, mangé et bu, et Abou Karim les avait reçus sans se départir de son sourire. Pendant la guerre, Abou Karim a fui du nord de la bande de Gaza vers le sud et s'est installé dans un site de l'UNRWA où il travaillait. Sa femme Oum Karim** a dit : « Je vais fuir en Égypte. » Abou Karim a déclaré : « Nous mourrons avec le peuple. » La mère de Karim s'est enfuie, mais l'avion lui a envoyé à elle et à ses accompagnants des bombes meurtrières. Karim est resté fils unique.
* père de Karim ** mère de Karim
La vie sous les bombardements 35
Al-Koumi
C'est un homme d'une cinquantaine d'années, assis par terre, pieds nus, pleurant et riant, déprimé et optimiste, peut-être pour la première fois de sa vie. Sa famille, et lui vivent dans une maison d'une seule pièce, avec une grande porte, et sans fenêtre, sans chambre à coucher, sans salle de bain et sans électricité ni eau.
Al-Koumi possède une chaîne de restaurants de fèves et de falafels et plus de trente immeubles dans la ville de Gaza, dont la moitié a été détruite. Al-Koumi envisage de quitter le pays, mais il n'a ni l'argent ni le prestige. Les chars ont pris d'assaut sa propriété et il s'est enfui du nord vers le sud, avec juste les vêtements qu'il a sur le dos, à la recherche de quelqu'un pour le recevoir et lui fournir de la nourriture et de l'eau.
La vie sous les bombardements 36
Thé, thé
Le feu de bois, la théière, les clients attendent et attendent. Certains sont partis. Les bombardements ont repris. Ils sont nombreux et s'en moquent. Ils regardent la fumée qui monte. Du thé, du thé. Il appelle les clients qui arrivent et repartent. Thé sans menthe. Thé sans sauge. Thé avec peu de sucre. Le bombardement approche. Il laisse le feu et s'enfuit avec la théière.
La vie sous les bombardements 37
Chargement du téléphone
Une semaine s'est écoulée et le téléphone est éteint. Il n'y a pas de lieu où le recharger. L'électricité est coupée, la centrale solaire voisine a été bombardée et ses morceaux se sont dispersés aux quatre vents. La centrale de la mosquée voisine est saturée et des querelles surgissent ici et là. Rawia attend devant un groupe d'hommes et de jeunes. Elle attend que quelqu'un lui cède son tour pour recharger son téléphone. Elle attend et elle pleure. Elle voudrait se rassurer sur le sort de la sa famille dont la maison a été bombardée.
La vie sous les bombardements 38
Biscuit
Il n'y a plus de pain, plus d'eau et pas d'argent. Les enfants ont faim et la situation est plus que mauvaise. Il entend parler d'aide mais ne voit rien venir. Il attend son tour du lever du soleil à son coucher, puis il retourne auprès de ses enfants les mains vides.
Salem a attendu le camion d'aide humanitaire et a volé des paquets de biscuits. Au lever du soleil, il les a vendus au marché à la porte du camp et a acheté dix kilos de farine. Les enfants ont ri et ont mangé du pain.
La vie sous les bombardements 39
Salem
Nassim voyage avec sa famille d'un endroit à l'autre, et finalement il atteint la frontière égyptienne. Il examine le mur, ramasse du bois de chauffage, prépare à manger et à boire. Il s'introduit par effraction aux point de contrôle et cherche des restes: une vieille porte délabrée, une chaussure ou un sac laissé par un soldat en fuite, ou encore une veste pour le protéger du froid de la nuit. Une explosion retentit, les gens se précipitent vers Salam et retrouvent les restes de son corps éparpillés un peu partout.
La vie sous les bombardements 40
Perte
Pour la première fois de sa vie, il porte le bâton de combat, non pas pour défendre la patrie, mais seulement le pain qui a disparu du marché. Les boulangeries sont fermées et leurs propriétaires se sont enfuis pour se mettre à l'abri. Les magasins et les commerces publics ont presque disparu et se sont vidés, sauf de rares choses oubliées. Les gens ont appelé leurs enfants à réduire leurs repas et à se contenter d’un peu de pain. Certains sont partis dans les stations balnéaires désertées, espérant trouver de quoi étancher leur soif et apaiser leur faim.
La vie sous les bombardements 41
La locomotive
Entre deux obus, l'assistant du chauffeur de la camionnette qui transportait sans doute des légumes avant la guerre, crie: « centre ville ». Le voyage n'est pas long. Au bout il y a le marché, qui propose très peu de choses: des restes de produits alimentaires. Il y a foule. Personne ne respecte le code de la route. Personne ne connaît personne. Ici à Rafah, il y a des visages d’habitants de toutes les parties de la bande de Gaza. Ils ont fui ou se sont éloignés sous les bombardements ou les menaces. Certains d’entre eux ont perdu toute leur famille. Certains se demandent jusqu'où tout ça ira Les bombardements s'intensifient, les gens abandonnent leurs affaires.
La vie sous les bombardements 42
Et ensuite ?
La femme regarde le bombardement, là-bas, et serre les poings. Une fumée blanche et noire s'élève au loin. Elle dit tristement: « Khan Younes est détruite, hélas! » L'autre femme répond avec étonnement: « Khan Younes seulement? C'est toute la bande de Gaza qui est détruite! » La conversation évoque les martyrs, les familles anéanties, les blessés, la pénurie d’électricité, d’eau et de gaz, les déplacements de population, la torture et la terreur. Les deux femmes versent des larmes amères et disent leurs regrets. L'une demande à l'autre: » Et ensuite ? »
La vie sous les bombardements 43
Quand ?
« Qu'est-ce que la guerre? » dit Abou Al-Abd. « Peu m'importe de savoir si je vais vivre ou mourir, mais quand cet enfer s'arrêtera-t-il? Quand la guerre cessera-t-elle définitivement? Quand les enfants pourront-ils à nouveau rire, jouer et aller à l’école sans crainte ? »
La vie sous les bombardements 44
La famille
Elle appelle tous les jours pour prendre des nouvelles de sa famille, de ses frères et sœurs, de son oncle et de sa tante, du père âgé et de la petite fille née le premier jour de la guerre. Elle est rentrée chez elle sous les bombardements. La communication est coupée. Les antennes-relais ont été détruites et Iinternet ne fonctionne plus. Elle a pleuré et s'est endormie.
La vie sous les bombardements 45
Farine
Ils se dirigent vers le camion de l’aide alimentaire. Mohamed est sans farine ni pain depuis une semaine. Nafez a pu emprunter du boulgour à son voisin du camp de déplacés et Hussein a partagé les deux miches de pain entre ses sept enfants. Ils ont attaqué le camion et ont brutalement dérobés les sacs de farine. Le chauffeur leur a dit : « Prenez la farine et laissez-moi sain et sauf avec mon camion. » Ils ont allumé un feu, ont fait du pain et ont dormi en attendant un nouveau jour.
La vie sous les bombardements 46
Amena
Elle a la peau foncée. Elle éprouve des sentiments délicats, elle n'a ni fils ni fille, connaît toutes les nouvelles du pays. Le nombre de ses rares moutons augmente ou diminue selon les circonstances et la situation, Elle prie beaucoup. Elle connait une prière spéciale pour chaque occasion, aime tout le monde et n'a pas d'ennemis. Elle rend visite aux voisins en toutes occasions. Toutes les maisons lui sont ouvertes. Le quartier lui est ouvert. Elle ne fait de mal à personne. Les enfants l'adorent. Ils l'accompagnent parfois pour écouter ses émouvantes chansons traditionnelles.
Quand la guerre a éclaté, Amena n'a pas pu déplacer ses moutons vers un endroit sûr. Elle s'est échappée avec difficulté. Amena a essayé de revenir nourrir ses moutons. Elle a levé les deux mains devant le tireur d'élite. Le corps d'Amena est resté allongé sur le sol au milieu de la longue rue, jusqu'à ce qu'il se décompose.
La vie sous les bombardements 47
Abou Khaled
Muhammad Abou Khaled est un agriculteur qualifié même s’il n'est jamais allé à l'école. Il se réveille à l'aube, arrache, laboure et sème, va du champ au marché, et du marché à la maison. Abou Khaled est "neutre", ni du Fatah ni du Hamas, ni de gauche ni de droite. Il ne comprend que l'agriculture et le marché; les conditions météorologiques et le changement des saisons. Quand la guerre a éclaté. Abou Khaled n’est pas parti, il n'a pas obéi aux avertissements et aux menaces de l'armée. Sa femme et ses enfants ont fui. Abu Khaled travaille dans les champs. L'eau manque. Abou Khaled a voulu se rendre au puits d'Abou Hassan, à proximité. La dernière chose qu'il a entendue ce sont les rires des soldats. Abou Khaled est resté là pendant des semaines, serrant la terre contre lui. Avec son sang, sa vie s'est envolée.
La vie sous les bombardements 48
L'idiot
Le Dr Fouad est diplômé d'une université américaine. Il s'est marié là-bas. Puis il s'est disputé avec sa femme, qui a divorcé. Et il est revenu au pays. À chaque occasion, il défend l'Amérique et sa sage gestion du monde. Elle garantit, dit-il, la sécurité dans les mers et les océans, dans les forêts et les déserts. Elle représente le progrès et le monde libre. Elle préserve l’ordre mondial, la démocratie et les droits de l'homme.
La guerre a éclaté. La fumée monte de partout. Les routes sont fermées. Les gens meurent, les jeunes comme les adultes, les femmes comme les enfants. Fouad refuse de partir. Il dit en souriant : « Je suis américain et j'ai un passeport valide. Je reste chez moi. Vous pouvez fuir si vous voulez ». Les gens ont ri en voyant Fouad lever son passeport dans sa main droite, devant le tireur d'élite tout en criant : « Arrête de tirer, espèce d'idiot, je suis Américain. Je suis Américain. » Ce furent ses derniers mots.
La vie sous les bombardements 49
Samia
Elle a attendu son fils, Louay, pendant vingt ans. Elle n'a que lui au monde. Elle l'a accompagné à l'école. Elle a travaillé dur pour lui acheter les plus beaux vêtements. Chaque année, elle lui achète un nouveau vélo. Elle a choisi de vivre avec lui au centre de la grande ville, pour qu'il soit instruit par les professeurs les plus qualifiés. La guerre a éclaté. Samia a fui avec Louay. Ils ont habité sous une petite tente près de la frontière. Louay n'a pas supporté les difficultés de la vie, le manque de nourriture et d'eau. Louay est tombé malade. Ils n’ont trouvé ni médecin ni médicaments. Louay n’a pas survécu.
La vie sous les bombardements 50
Sabah
Depuis trois jours, elle attend son tour. Son numéro dans la file a dépassé le cinquante. Elle attend depuis six heures du matin. Elle a seulement cent dollars qu'un parent, d'un pays lointain, lui a transféré. "Western Union" pour les transferts d'argent ouvre ses portes à dix heures du matin. Le froid est insupportable. Sa petite fille, Rahaf, qu'elle appelle "Rourou", est prise en charge par sa voisine du camp de réfugiés à l'ouest de Rafah. Son mari, Nasser, est parti à l'aube chercher du bois de chauffage près de la forêt d'Al-Mawasi, et son fils Muhammad, dix ans, vend du thé dans le coin est du camp. Sabah est revenu au camp ce matin, heureuse, avec une boite de lait pour Rourou, et cinq kilos de farine. Elle a eu de la peine devant la main cassée de son mari. Il a été surpris en train de voler du bois de chauffage.
La vie sous les bombardements 51
Abou Adham
Depuis le début de la guerre, Abou Adham n'a pas coiffé ses beaux cheveux, ni utilisé son parfum. Il n’a plus enfilé son costume de laine, sa cravate et ses chaussures noires brillantes. Il a fui à cause de l'intensité des bombardements et est resté loin de sa maison détruite, qu'il n’a même pas pu prendre en photo avec son téléphone Il a cherché des tongs au marché. Le vendeur lui a dit : « Ne cherchez pas. Les pantoufles ont disparu, comme le papier toilette et l'eau propre. » Sa femme l'a regardé, partagée entre rire et désespoir. Elle a pensé : « mon mari, ne s'est pas douché et il n’a pas changé de vêtements depuis quinze jours. Il est devenu silencieux, et mange tout ce qu'il peut trouver. Il se plaint, dors et parle moins. » Elle lui dit, sarcastiquement : « Abou Adham, je vais te préparer une tasse de café turc que tu aimes tant. » Abou Adham a ri quand il a compris ce qu'elle voulait dire. Il a répondu : « Veux-tu que je t'emmène chez Kazem pour prendre un rafraîchissement? » Brusquement une larme est tombée des yeux d'Umm Adham. Elle a tourné calmement la tête et elle est restée silencieuse.
La vie sous les bombardements 52
Le dernier diner
Il a rassemblé tout ce qu'il pouvait transporter de vêtements, de matelas et d'ustensiles de cuisine. Il s'est mis d'accord avec son voisin Shaheen, pour le transporter avec ses enfants sur sa charrette à âne, vers le sud, à la recherche d'un endroit sûr. Sa femme a regardé tout autour d'elle, comme si elle faisait des adieux définitifs à la maison, aux tableaux, aux fenêtres, aux beaux rideaux, au four et à la cuisine où elle préparait le dîner: des tomates, des œufs et un peu de fromage. Elle fut envahie par le pressentiment qu'elle ne rentrerait pas chez elle. Où serait-elle demain? Où dormiraient les enfants et comment ? Son mari trouverait-il un endroit décent pour y vivre ? Combien de temps resterait-elle loin de sa nouvelle maison ? Ces pensées lui traversaient l'esprit, comme un vent d'orage.
La Défense Civile n'a pas pu atteindre la maison et l'ambulance n'est pas arrivée. A quatre heures dix du matin, une pluie de bombes a mis fin à ses rêves et à ceux de sa famille rayés à jamais du registre de l’existence.
La vie sous les bombardements 53
L'âne a été volé
Umm Suleiman est étudiante, employée, agricultrice et éleveuse de moutons et de poulets. Son emploi du temps est chargé et précis. La guerre a éclaté et les bombardements ont atteint sa maison. Un obus perfide est tombé tout près de chez elle et des éclats ont été dispersés partout. Le toit de sa grange a été arraché. Umm Suleiman, terrifiée, s'est rapidement préparée à fuir. Elle a chargé ses treize moutons sur la charrette de son âne blanc aux grands yeux, tandis que ses fils ont transporté le reste des meubles. Durant le premier mois de la guerre, sa nouvelle grange a été bombardée. Cinq moutons sont morts, trois ont été blessés mais son précieux âne a miraculeusement survécu. Elle s'est enfuie avec ce qui restait jusqu'à la frontière égyptienne et y est restée. Un matin Umm Suleiman n'a pas retrouvé son âne. Il avait été volé. Elle s'est renseignée partout. Au quatrième jour de sa disparition, elle l'a retrouvé chez l'un des marchands. Umm Suleiman a combattu jusqu'à ce que tout le monde reconnaisse son droit. Umm Suleiman a serré son âne dans ses bras et l'a embrassé. Les gens ont ri. Les voisins se sont rassemblés pour la féliciter et des applaudissements ont secoué le camp de réfugiés, pour saluer le retour de son âne sain et sauf.
La vie sous les bombardements 54
Sur la haute colline de sable,
Les poteaux d'éclairage sont disposés le long de l'axe "Philadelphie". Ils éclairent les lieux, envoyant leurs rayons depuis l'Égypte jusqu’à la Palestine. Ahmed a planté son coude dans le sable, et Salah s'est assis en tailleur, tournant sa tête vers le nord. Hassan était assis en silence comme s'il priait. Ahmed a dit : « Je vais mourir ici, dans cette gare. C'est la troisième et dernière station », et il a agité la main vers le nord. Quant à Salah, il pense retourner à Al-Qarara, de jour ou de nuit, en toute discrétion ou non. Et advienne que pourra ! Abu Hassan reste silencieux, il réfléchit à la façon de briser le mur et d'atteindre ce bâtiment derrière les barbelés. La maison a été démolie. La femme et les enfants: que Dieu les garde dans sa miséricorde. Et la vie passe, elle approche de sa fin. Le ciel de Rafah s'illumine comme un éclair, à maintes reprises. Un bruit se fait entendre qui fait trembler la terre. Il y a un violent bombardement dans le camp de Shaboura. Tout le monde se retourne pour regagner les tentes en se moquant des nouvelles décisions du Conseil de sécurité.
La vie sous les bombardements 55
Hajjah Khadra
Elle a dépassé de peu les soixante ans. C'est une agricultrice consciente et active qui plante et récolte. Elle comprend le temps et les saisons. Elle connaît toutes les herbes, les fleurs, les types d'oiseaux, les insectes, le sol, et la salinité de l'eau. Elle est veuve depuis plus de trente ans. Sa fille unique, Khadija, est partie à l'étranger et s'y est mariée. Son cher frère, Nayef, est professeur à l'université. Khadra pleure chaque matin en se souvenant de ce qui les nourrit et les abreuve: ses poules et la culture hors-sol de tomates variété Kadar. Le printemps commence, les fleurs éclosent, les jours passent et les plantes s’épanouissent. Khadra aimerait pouvoir manger de l'hibiscus et des poireaux. Elle espère récolter des herbes comestibles dans les champs, au bord des routes et près de la vallée. Pourtant, Khadra est tombée malade. À l'hôpital koweïtien de Rafah, les habitants de la ville l'ont pleurée amèrement et ont maudit ce jour qui les a éloignés, eux et Khadra, de leurs maisons.
La vie sous les bombardements 56
Ihab
Il n'en était qu'à sa deuxième décennie. Mince, grand, et toujours souriant. Le magasin était grand et spacieux, plein d'activité et de bavardage au milieu du bruit continu des chariots. Les acheteurs attendaient leur tour à la caisse, poussant leurs caddies chargés de marchandises. Ihab les recevait toujours avec plaisir et les saluait avec joie et satisfaction, tout en s'occupant à leur rendre la monnaie. Les gens ont fui devant les graves menaces de bombardement. Le propriétaire du magasin est parti pour l'Égypte, après avoir payé un important pot-de-vin. Ihab distribue toujours ses sourires dans le camp de réfugiés de Rafah, tout en pensant à quitter le pays à la première occasion, peut-être pour distribuer des sourires là-bas dans un pays dont il ne sait où il se trouve, ni comment y parvenir.
La vie sous les bombardements 57
Une tasse de café
Café du matin, café de l'après-midi, café léger, café turc, café brésilien. Autant de variétés et autant de rituels. La guerre a éclaté. Les bombardements se sont intensifiés. Les gens ont pris ce qu'ils ont pu porter. Certains ont été interceptés par l'armée, ont été mis en ligne, les mains levées, leurs vêtements relevés jusqu'à la poitrine. Certains ont été tués, d'autres ont été arrêtés et torturés. Ouday est arrivé au camp de réfugiés. Pendant une semaine ou deux, il n'a pas bu de café ni même n’en a senti l’odeur. Abu Al-Abd lui a dit: « Le café manque. Cherche-toi plutôt une miche de pain ou une bouteille d'eau! » Ouday a enfourché son vélo et il est parti chercher du café dans la campagne. Il est entré dans une zone interdite. Un affrontement a éclaté et Ouday est revenu au camp terrifié, sans vélo et sans café.
La vie sous les bombardements 58
Naaman
Sa petite radio à la main, un casque sur l'oreille droite, Naaman écoute sans arrêt les informations, Al-Jazeera, Al-Ghad, Al-Arabi, Makan, Reshet, Beit et Qimel, ou Rishon. L'après-midi, il met la radio de côté et se rend dans un coin du camp de réfugiés, analysant, expliquant, maudissant l’Amérique, l’OTAN, tous les Arabes et le Hamas. Naaman travaillait comme chauffeur de bus en Israël. Il portait une chemise bleue et partait tôt le matin de Tel Aviv à Kfar Saba. Il écoutait des chansons en hébreu. Il surveillait la route et les passagers en silence. Peut-être que certains auraient refusé de prendre le bus s'ils avaient su que son arrière-grand-père était palestinien et qu'il était né dans ce pays.
Naaman rassure ses nouveaux compagnons du camp en disant : " « ils sont en difficulté et bientôt nous retournerons chez nous. Nous regarderons la télévision et boirons du café, l'électricité reviendra et les petits-enfants retourneront à l'école".
La vie sous les bombardements 59
Le barbier du camp
La chaise, soutenue à droite et à gauche par des pierres, a été récupérée dans les ruines d'une maison bombardée. Un jeune homme mince et élégant, de taille moyenne, avec une barbe qui a commencé à pousser, peut-être, il y a un an. Il a des dents blanches et toujours le sourire. Sur le sable blanc, il y a un lieu étroit pour attendre, là où des pierres sont restées où elles sont tombées du bâtiment. Quatre personnes y sont assises. Des hommes, qui attendent leur tour pour se faire coiffer. Ils sont de Shujaiya, du camp de la plage, de Nusseirat et d'Al- Qarara. Ils racontent des histoires douloureuses et tristes. L'un d'entre eux n'a pas pu terminer son histoire. Il a quitté la séance en couvrant ses larmes avec sa main. Les hommes l'ont suivi des yeux. Le barbier s'est arrêté un moment de couper les cheveux et a marmonné tristement des mots incompréhensibles avant de reprendre sa coupe. Les hommes sont restés silencieux, suivant des yeux une famille qui venait d'arriver, portant leurs meubles sur une charrette à âne. Ils semblaient être partis d'un endroit assez proche, mais portaient sur leurs traits des traces visibles de fatigue et de colère.
La vie sous les bombardements 60
Le fleuriste
Il se lève tôt, asperge d'eau le devant de son magasin de fleurs. Des fleurs qu'il plante avec sa femme, dans leur jardin riche de nombreuses variétés. Il les transporte dans sa petite voiture jusqu'au magasin du centre-ville. Il les classe: jasmin, roses jaunes, rouges, roses... Il aime les voir et est fier d'être le seul vendeur en ville. Il connaît ses clients un à un et il dit: « Mes clients sont comme les roses de toutes sortes et de toutes formes. » Le vendeur de fleurs habite maintenant le camp de réfugiés à Rafah où il vit dans un petit endroit fait de plastique et de bois. Sa femme dit : « Dieu merci, nous allons bien et ne sommes pas morts. Si nous restons là, nous planterons des roses et construirons un nouveau magasin. »
La vie sous les bombardements 61
Le médecin
Le docteur Abou Al-Tayeb est toujours plein de tact et souriant, il fait des blagues sur les événements et raconte son histoire d'une manière sarcastique et comique. Abou Al-Tayeb était directeur d'une clinique médicale. Parfois, il travaillait du petit matin jusqu'au soir. Un char a bombardé sa clinique et sa maison. Abu Al-Tayeb a perdu sa maison et son travail, mais n'a jamais perdu son sens de l'humour. Si vous éternuez en parlant, il se jette sur vous, en plaisantant, et il veut ouvrir votre bouche pour vous examiner. Il sort un thermomètre de sa poche pour prendre votre température si vous êtes contrarié par la discussion. Abu Al-Tayeb suggère de creuser des tunnels pour que les habitants de Gaza puissent vivre sous terre, livrant ainsi la surface de la terre à l'occupation et mettant fin au conflit.
La vie sous les bombardements 62
Le testament
Ma sœur Amena, je n'ai pas de stylo pour écrire, ni d'électricité pour brancher mon ordinateur. Mon petit sac est tombé sous ce mur. J'ai peur. Tiens bon comme tu peux. Dors toute la nuit. Mange et bois. Je ne peux pas supporter de vivre. Je suis détruite par le bourdonnement des balles, les détonations des canons et les restes des destructions qui emplissent l'espace autour de nous. Je sens que l'univers est plus petit que mon anneau. Écoute, Yamena, cherche le corps de mon frère. Enterre-le dans notre cimetière. C'est sans danger pour vous. Enterre-le là où ma mère a été enterrée. Ne le laissez pas dans cette foutue école. Informe le professeur d'université que le projet de fin d'études est prêt à être discuté et peut être appliqué dans n'importe quelle installation environnementale. Rends cette somme à mon amie Zainab. Je te conseille de bien traiter notre chatte. Baigne-la chaque semaine et achète-lui les biscuits qu'elle veut. Yamena écoute-moi, écoute-moi, écoute-moi.
La vie sous les bombardements 63
Mansour
Étudiant de première année à l'université, les cheveux bouclés, Mansour est joueur, c’est un athlète, créatif et poli. Il fuit les combats, travaille dans le camp de réfugiés avec une charrette et son âne: il transporte les meubles des déplacés d'un endroit à l'autre, porte une mère qui veut rendre visite à sa fille près de la mosquée Ali, amène une personne âgée à la clinique de l'UNRWA près de la mosquée Taiba, aide un jeune homme à retrouver sa petite amie (il a entendu dire qu'elle s'était enfuie pour vivre dans le quartier saoudien), conduit un chômeur à un hospice rue Al-Nas, accompagne une employée pour récupérer son salaire chez un agent de change près du rond-point de Zoroub, aide un adolescent pour acheter des cigarettes au rond-point d'Al-Awda, soutient un chef de famille pour emmener sa femme chez son frère, et assiste un manifestant à la recherche d’une tente depuis un mois
La vie sous les bombardements 64
Encombrement
Les toilettes se trouvent dans le coin le plus éloigné du camp, quatre pièces adjacentes pour les hommes, et une structure similaire pour les femmes. Elle se glisse tranquillement dehors. Pas d'oiseaux qui gazouillent, pas de coq qui chante. Elle entend le bruit des chiens, fatigués par la nuit, qui se préparent à dormir. Il est tôt le matin, il fait froid et la pluie est sur le point de tomber. Il n'y a ni papier ni eau aux toilettes. La somnolence a disparu à cause du bruit de l'avion et de l’énorme fracas d’un bombardement que suit le hurlement des sirènes des ambulances. Ses enfants regardent autour d'eux en se réveillant et disent : « On va aux toilettes? » Elle répond : « Oui on va aux toilettes avant la cohue ».
La vie sous les bombardements 65
Saadia
L'officier supérieur, en uniforme blanc, les cheveux noirs courts, avec des médailles dont elle ne comprend pas la langue. Un officier subalterne attend, un cahier blanc à la main. Autour d'eux cinq soldats indifférents. De la main, l'officier inspecte les barbelés. Derrière sa tente, Saadia étend les vêtements de ses enfants sur un arbre sans feuilles. Le cortège des soldats silencieux, n’est interrompu que par quelques murmures, que le jeune officier ne manque jamais de noter. «Hé officier, monsieur, bonjour ». L'officier se retourne avec arrogance, tout comme l'officier subalterne et les soldats. « Monsieur l'officier, ne permettez à personne de couper ce fil. Nous ne vous haïssons pas, mais nous aimons notre pays. Que Dieu vous bénisse. Ordonnez à vos soldats de ne laisser passer personne ici. Ils nous ont détruits, tués, ont démolis nos maisons, et nous ont poussés jusqu'à ces frontières, pieds nus et dévêtus. » Elle a posé la main sur la tente en nylon. « Vous voyez », a marmonné l'officier supérieur et l'officier subalterne a continué d’écrire.
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Horreur, peur et mort
La zone est assiégée. Le bruit des chars approche. Certains jeunes hommes ont fui, ont disparu au loin. Le bruit des balles a été entendu entre les ruelles. Les soldats ont crié dans les haut-parleurs: « Tous les résidents de l'école doivent se déplacer immédiatement, maintenant, maintenant, vers l'ouest, puis vers le sud. ». Les gens portent leurs enfants et une partie de leurs biens. Ils ont laissé beaucoup de choses derrière eux, dans leurs tentes. Il y a des chars à droite, des chars à gauche, qui tirent de temps en temps au-dessus de leurs têtes. Certains d'entre eux ont jeté leurs affaires par peur et par épuisement. « Montre ta carte d'identité, lève-la en marchant, près de ton visage. Toi, toi et toi jusqu'à la tente, oui toi, enlève tes vêtements. » Cris, coups, liens et tirs. Une mère de deux enfants dont l'un est sur son épaule et l'autre sur ses genoux a crié : « Ne me tue pas, ne me tue pas, je ne veux pas mourir, je veux vivre pour élever mes deux enfants. » Un des enfants tombe et le soldat crie : « Prends-le et pars. » Elle serre ses deux enfants dans ses bras et se dirige vers l'ouest.
La vie sous les bombardements 67
Dardi
Le vélomoteur, le sac de farine et la balle perfide qui a pénétré dans le sac a atteint la poitrine et le cœur. Le sang rouge s'est mélangé au blanc de la farine et Dardi est tombé en embrassant le sac. Il avait quitté le centre d'asile pour chercher du pain pour sa mère et sa petite sœur. Il s'était faufilé d'une rue à l'autre, à la recherche de farine, pour revenir ravi, heureux d'avoir obtenu un sac qui suffirait à sa petite famille pendant des jours. Il voulait retourner au camp, il voulait être fier parmi ses jeunes pairs.
Les jeunes du camp ont versé des torrents larmes pour dire adieu au jeune homme que les gens aimaient, qui avait si bon cœur et faisait preuve d’une si grande volonté.
La vie sous les bombardements 68
Arrestation rapide
« Va-t-en ! Sors », éructe le soldat qui le suit, un bâton rugueux à la main. La tente de détention est grande, le sang y dessine des cartes et des nuages qui courent le long de ses parois. Des jours qu’il n’a pas vu son corps nu. Il n'y a ni salle de bain, ni miroir. Il ne peut pas croire qu'il est encore en vie. Il s'est préparé à la mort. Une mort sans conteste plus miséricordieuse que l'enfer vécu les heures précédentes. Il a perdu la notion du temps. « Où étais-tu le 7 octobre ? » La question continue de résonner dans sa tête. Mais, ce n'est pas grave, il est toujours en vie. Il sent son corps, ses jambes, sa tête, son dos, du sang sur son épaule. Il est vivant, vivant. Oh mon Dieu, je suis vivant. Il reverra son enfant Samar, il reverra sa femme et sa mère. Il est sûr qu'elles pleurent en se disant: « Mohammed est parti, Mohammed est mort. ». Le froid est âpre, le vent qui arrive de la mer a failli l'emporter, mais il est vivant.
Quelqu’un lui a jeté une misérable couverture. Il a murmuré des remerciements, sans un regard en arrière et il enroule son corps tremblant dans la couverture. De la main, il désigne une charrette à âne. «"Mon frère, mon frère, emmène-moi avec toi ». Sans attendre la réponse, il a sauté sur la charrette. Le propriétaire l'a rabroué : « Tu n'écoutes pas? » Pour toute réponse, il a ri en ajoutant : « Tais-toi ! Roule, roule ... Je suis vivant. Tu comprends? »
La vie sous bombardements 69
Le testament de Youssef
Il a les yeux verts et il est blond. Ce n'est pas commun pour un Bédouin. Youssef est doué pour allumer des feux. Il est vif d'esprit, courageux, intrépide et souvent rebelle. Il réussit dans toutes les querelles, et il est un parleur intarissable en temps de paix comme en temps de guerre. Les soldats ont encerclé l'abri. Des balles fusent dans toutes les directions. L'endroit se remplit des cris des femmes et des enfants et le sable se souille de sang. Obéissant aux ordres des soldats, les gens forment une longue file. Ils portent leurs enfants, et un peu de leur nourriture et certains de leurs vêtements. Ils sont prêts au diagnostic, à l'inspection, à l'exécution et à l'arrestation. Youssef s'est aligné avec les autres. Il a demandé à son ami de garder son petit sac. Il s'est rendu aux toilettes voisines pour faire ses besoins. Deux balles ont précédé les cris du soldat. La première s'est logée dans son ventre et l'autre dans sa main. Youssef est tombé. Il a été transporté à l'hôpital. Le lendemain, il dit à son ami : « Retire cette somme de ma poche. C'est pour que mon frère Ahmed se marie. Ne t'inquiète pas pour moi, je vais mourir .Je te confie ma famille. » Joseph a été enterré dans la cour de l'hôpital.
La vie sous les bombardements 70
Tahani
Elle a ramassé beaucoup de bois de chauffage, construit des fours pour cuire le pain, s'est rendue à l'agence humanitaire et a demandé de la farine. Le propriétaire d'un puits fonctionnant à l'énergie solaire a fourni de l'eau au camp grâce à son talent et son ingéniosité. Elle a recruté quelques personnes : des femmes habiles pour pétrir la farine, d'autres pour couper la pâte et faire le pain, d'autres pour attiser le feu, et des jeunes filles pour mettre les pains dans des sacs. Et une équipe pour distribuer le pain à ceux qui ne peuvent pas l'acheter ou le fabriquer. Tahani est une femme active, expérimentée dans le service public, aimée des gens. Elle vit parmi eux, partage leur nourriture, boit la même eau, écoute leurs plaintes, écrit sur eux, Elle crie à pleine voix en solidarité avec eux et pour revendiquer leurs droits. Elle verse des larmes sur leurs deuils et sourit parfois devant l'ironie de leur tragédie.
La vie sous les bombardements 71
La disparition de l'épouse
Ils lui ont dit que les soldats avaient dépassé le lieu du deuxième déplacement. Quelques jours après avoir fui de Khan Younes jusqu’à Rafah, où elle a laissé des ustensiles de cuisine, de la literie ainsi qu'une grande photo de son fils aîné porté disparu depuis le début de la guerre, elle est montée silencieusement dans une calèche, sans le dire à personne. Elle est entrée dans les tentes des déplacés installées des deux côtés de la route. Le propriétaire du cheval effrayé lui dit: « Entends-tu les bombardements? Regarde, regarde la fumée qui s'élève là-bas », et il s'est dépêché de la laisser descendre pour entrer dans la maison où elle s’était réfugiée à Rafah. Elle a cherché des meubles qu'elle n'a pas trouvés. Elle retrouvé brisée la photo de son fils aîné. Elle l'a embrassée et a pleuré avant de la déposer dans un petit sac.
Son mari qui voulait partir à sa recherche a été retenu par ses amis qui l'ont empêché d'y aller!
La vie sous les bombardements 72
Toi et moi, nous voyagerons…
Il a passé la nuit à réfléchir à la façon dont il pourrait rentrer chez lui le lendemain matin. Pourra-il supporter la vue des ruines d'une maison qu'il a construite avant la guerre? Sa femme n'est pas d'accord. Elle lui dit : « Notre maison se situe dans une zone de combats. Oublie la maison, laisse tomber. Restons ensemble, toi, moi et les enfants. Si nous devons mourir, mourons ensemble. Si nous vivons, nous construirons une nouvelle maison, avec de belles portes et fenêtres, et un petit espace pour un jardin où nous planterons des œillets et du jasmin. Nous élèverons nos enfants et nous les éduquerons. Nous les enverrons dans des pays lointains, préservés de la guerre et des conflits, pour qu’ils y apprennent la médecine et le droit. Toi et moi, nous voyagerons pour leur rendre visite, nous porterons de nouveaux vêtements, nous prendrons l’avion et nous regarderons les nuages depuis le hublot. » Elle l'a serré dans ses bras en pleurant : « Je t’en prie, n'y va pas, reste avec nous. »
La vie sous les bombardements 73
Omar et Sarah
Il arrive depuis l'autre côté du camp. Elle entend des rires sourds. Il lui raconte le repas du jour : des petits pois en conserve, avec une tomate. Pas de viande bien sûr. Ils rient. « Nous avons oublié à quoi ressemble la viande, Omar ». Ils rient. Depuis une heure ou deux, ils sont debout au milieu des tentes. Il n'y a pas de café ici, pas de restaurant ni de parc. Sur la plage, les cuirassés se préparent à un nouveau bombardement. L'hélicoptère bombarde Khan Younès avec des salves continues de balles. De la fumée s'élève dans le ciel à l'est de Rafah.
« Dis-moi, Omar, quand allons-nous nous marier? » « Quand la guerre finira-t-elle, Sarah ? » Un long soupir fait suite au silence et aux pleurs. « Ne t'inquiète pas, Sarah, la guerre achevée, nous aurons un mariage au cours duquel nous danserons et nous chanterons. » « Qui peut garantir, Omar, que nous survivrons ? Je te le dis, Omar, si tu meurs, je n'épouserai personne d'autre. Tu es l'univers, tu es la paix et la guerre, tu es la joie et la tristesse. » Il s'est retourné. Il avait très envie de l'embrasser. Il a voulu l'embrasser… Puis, dans le camp, il y a eu le bruit d'un bus humanitaire transportant des boîtes de haricots… Quelques minutes plus tard, il était vide.
La vie sous les bombardements 74
Carte d'identité
Eid et Hassan sont des amis d'enfance, des cousins. Ils ont étudié dans la même école et dans la même classe. Eid a quitté l'école. Après le collège, il a appris le métier de barbier et il a ouvert une boutique dans le quartier. Tout comme lui, Hassan a quitté l'école. Pour travailler comme ouvrier dans les champs : il récolte les olives, fauche le blé et élève des moutons.
Eid et Hassan se retrouvent tous les jours près du magasin. Ils discutent du présent et de l'avenir, du moment où se marier et du moment où construire une nouvelle maison. La guerre a éclaté. Eid et Hassan ont fui vers un refuge à Khan Younes. L'armée a encerclé les lieux et les militaires ont sommé les gens de partir. Eid et Hassan sont partis. Sur la route, Hassan a été blessé et Eid a perdu sa carte d'identité. Eid a porté Hassan sur son épaule puis l'a emmené à l'hôpital sur une charrette tirée par un âne. Le lendemain matin, Hassan est décédé. Eid l'a porté. Il l'a enterré dans le coin sud de l'hôpital. Eid se retrouve seul, sans ami. L'armée a donné l'ordre d'évacuer l'hôpital, et de lever leurs cartes d'identité près de leurs têtes. Eid a brandi la carte d’Hassan. Dans le haut-parleur un soldat a dit : «Vous souffrez et vous le méritez. Savez-vous où se trouvent actuellement vos chefs? Ils sont dans des hôtels quand vous, dehors, vous ne trouvez même pas de quoi manger. »
Eid tremble de peur à l’idée d’être découvert. Dès qu'il a pu sortir, soulagé, il s’est senti renaitre. A Rafah, il a embrassé le père d'Hassan et il a tant pleuré que de grosses larmes ont trempé sa chemise. Eid est sorti de là triste et brisé. Il a pensé: Hassan ne reviendra pas.
La vie sous les bombardements 75
Une nouvelle réjouissante ?
Le vent a violemment secoué les coins de la tente. Après deux heures, le vent a poussé l’eau qui s’est accumulée au milieu du toit de la tente. L'homme a poussé la flaque vers le côté à l’aide de ses mains. Le bruit de l'eau fait un gargouillis intermittent.
L’homme est retourné se coucher, frissonnant de froid, et il s'est enroulé dans les couvertures qu'il a reçues de l'UNRWA au début de la guerre. La femme, sous les couvertures, veille sur lui depuis le début. Les enfants dorment en rêvant sans doute à leurs lits chauds qui sont restés là-bas. Les enseignes lumineuses sur les murs, ont peut-être été enlevées à cause des bombardements. Les lits sont neufs, achetés peu de temps avant la guerre au magasin d'Abu Hassira. Il s’interroge: « Le grand magasin est-il toujours là? Peut-être a-t’il été bombardé ou incendié, et sa fumée s'est-elle élevée en nuages noirs vers le ciel ». La femme ressent l'anxiété de son mari. Elle demande : « Mahmoud, Mahmoud, allume la radio. Peut-être qu’au Caire ils ont accepté un cessez-le-feu, une trêve ou n'importe quelle réjouissante bonne nouvelle. »
La vie sous les bombardements 76
La guerre sera longue
Abu Nader est devenu expert en déménagement de tente. Déjà six fois qu’il la transporte, d'un endroit à l'autre: vingt-deux morceaux de bois, un long rouleau de plastique, un tonneau, un tuyau et un coude pour les toilettes, une pelle, un marteau, seize clous et un rouleau de cordes pour tout attacher et pour étendre le linge.
Le nouveau voisin dit sarcastiquement à Abu Nader : « La guerre sera longue. Si vous restez en vie, voisin, et que vous n'êtes pas bombardé par un cuirassé depuis la mer, par un avion F-16 depuis le ciel bleu, par un canon depuis l’arrière de la colline, ou par les incursions militaires venues du nord, c’est sans doute l'expulsion vers le sud vous attend ! Dans le sud, avec le sable blanc et brillant du Sinaï, les bombardements cesseront et votre voyage sera l'avant-dernier. Peut-être ouvriront-ils une école et une clinique pour vos enfants. »
Abou Nader, en colère, se lève et crie: « Ca suffit à la fin ! ». Puis il met ses mains derrière son dos et se glisse dans sa tente.
La vie sous les bombardements 77
Pluie d’obus
Mercredi soir, fin février, dans le petit camp d'Al-Mawasi où les tentes se sont alignées spontanément, de faibles lumières sont visibles de loin, ainsi que la fumée d'un feu tout juste allumé pour le dîner. Peu après le coucher du soleil, on entend le bruit de coups de feu dans la rue Al-Rashid, ainsi que celui des bombardements à l'est du camp. Le grondement des chars approche, et les obus des navires de guerre pleuvent depuis le bord de mer. Les avions Apache se déchaînent et les bombes éclairantes montent vers le ciel. Le haut-parleur hurle: « Reste où tu es, tu es encerclé. » Ils ont pris d'assaut les tentes et les chalets abandonnés depuis des jours. La population s'est rassemblée sur la plage, agenouillée au milieu des chars et des balles silencieuses. Najat n'a pas survécu. Elle a été écrasée par le char alors qu'elle dormait dans sa tente. Naeem est mort en martyr sous le mur derrière lequel il s'était caché. Après le départ des chars dans la matinée, la population a inspecté ses tentes et compté ses morts.
La vie sous les bombardements 78
Ô, oiseaux…
Près de sa tente, il y a une clôture grillagée. Derrière la clôture, un seul palmier se balance où des oiseaux se rassemblent, émettant des sons dissonants. Sons du matin, sons de midi et sons du soir. Pendant les bombardements, les oiseaux gardent le silence. Certains s'envolent, comme s'ils s'enfuyaient vers la mer, pour revenir le lendemain. Umm Hassan leur jette des restes de nourriture et les oiseaux les dévorent avec appétit. Derrière la clôture, Umm Hassan observe les oiseaux et pleure. Elle se souvient de son fils unique, détenu depuis des semaines. Elle se demande s'il mange, s’il dort, s’il est malade ? Où se trouve-t-il maintenant? Est-ce qu'elle survivra, le reverra? Quand cette guerre prendra-t-elle fin ? Quand les bombardements et les attaques cesseront-ils enfin? Ô, oiseaux qui volez, dites-lui bonjour de ma part, dites-lui que les yeux de sa mère n'ont pas dormi depuis son arrestation.
La vie sous bombardement 79
Nasser
Depuis ce matin, Nasser attend l’occasion de revenir à l’extrémité est de la ville, pour inspecter sa maison qu’il n’a pas vue depuis des mois. Les bombardements s'intensifient au sud de Khan Younès. Le bruit sourd des canons est incessant. Le rugissement des chars s'intensifie, et l'hélicoptère Apache tourne en préparant le prochain bombardement. De temps en temps le bruit des balles secoue les lieux. Le drone s’approche, Nasser se sent traqué. Il se faufile de quartier en quartier, de maison en maison, dans un silence de mort. Il a été émerveillé par les voleurs qui s'introduisent hardiment dans les maisons, cassant les portes, creusant un trou dans le mur et transportant ce qu'ils peuvent des meubles. Ils l'ont assuré de l'absence de soldats dans le quartier tout en disant qu'ils ne sont pas loin et peuvent apparaître à tout moment.
Une détonation lui a percé les oreilles. Nasser s’est cru visé. Il s'est abrité près d'un mur proche. Puis il est rentré passer une autre nuit sous la tente, en attendant une nouvelle opportunité.
La vie sous les bombardements 80
Pousse-toi…
Partout, des pierres, grosses et petites. Des colonnes en béton armé se sont effondrées au milieu de la rue. Un trou profond au centre de la maison détruite. En moins d’une minute tout a volé en éclats. Il ne reste que des corps calcinés, des membres déchiquetés. Muhammad Abu Al-Abed avec grâce à son âne et sa charrette, et à la force de sa volonté, continue de travailler. Lorsqu'il entend le bombardement, il vient récupérer les corps. Certains l'aident, mais d'autres fuient par peur d'un nouveau bombardement. Muhammad transporte sur sa carriole deux, trois ou cinq cadavres. Il les emmène à l'Hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa. Il crie sur la route : «Pousse-toi, pousse toi!», afin que les passants ouvrent le chemin devant lui. Il arrive aux urgences : « Pousse-toi un peu sur le côté. » Muhammad est père de huit enfants. La charrette à âne est sa seule source de subsistance en temps de paix et de guerre.
La vie sous les bombardements 81
Farid
Il a quitté l'école en deuxième année pour travailler avec son père, Alyan, dans l'agriculture, labourant la terre et plantant du gombo. Farid a grandi et, devenu fumeur, il s’est converti dans la culture du tabac syrien. Pendant la guerre et le siège, le tabac est devenu rare. Son prix a fortement augmenté. Farid, avec sa charrette à âne, vend du tabac d'un refuge à l'autre. Une cigarette jamais éteinte plantée au côté gauche de sa moustache, il sourit toujours, les sourcils froncés. Son sens de l'humour ne le quitte jamais.
Lors d’une nuit de bombardement, au nord de Khan Younès, Farid s'est réveillé et n'a pas retrouvé son âne. Il est alors parti à sa recherche. Le matin, Farid a été retrouvé noyé dans son sang, tué par un obus.
La vie sous les bombardements 82
Le cerf-volant de Bassem
Bassem a fabriqué un cerf-volant au début de l'année. Son école a été détruite et elle est devenue inaccessible. Sa maison a été démolie le deuxième jour de la guerre. Ici, il n'y a ni balançoires ni terrains de jeux. Bassem vit dans une petite tente, sans livres, sans stylos et sans devoirs. Pas de file d'attente le matin et pas d'examens. À la lisière des tentes, sous un arbre dont les nouvelles branches n'ont pas encore poussé, Bassem et ses amis sont rassemblés depuis le matin et ont fabriqué un nouveau cerf-volant. Ils lui ont confectionné une longue queue, avec des pompons qui dansent au gré du vent. Le cerf-volant s'est élevé vers le ciel, causant une joie immense à Bassem et à ses amis. Ils se sont relayés pour tenir la ficelle, leurs yeux tournés vers le ciel, suivant le cerf-volant qui flottait au-dessus de l'horizon vers la maison.
Le bruit des bombardements qui achèvent la destruction de la ville de Hamad n'a pas cessé. Soudain, un hélicoptère attaque la place, à quelques mètres du sol. Les enfants s’enfuient. Bassem s'est accroché au fil du cerf-volant. Il n'a pas pleuré ni protesté quand celui-ci a été coupé et quand le cerf-volant a disparu. Il a décidé d’en refaire un autre, cet après-midi même.
La vie sous les bombardements 83
Salim
Grand et agile, comme un joueur de basket-ball, Salim est courtois. Il habite le premier étage d’un immeuble de la ville de Hamad. D’abord ils ont demandé aux femmes et aux enfants de quitter rapidement la ville. Puis ils ont rassemblé les hommes de l'immeuble dans son appartement. Ils leur ont fait ôter leurs vêtements et leur ont attaché les mains fermement derrière le dos. Le séjour a été transformé en salle d’interrogatoire. Comme le 7 octobre dernier Salim rendait visite à son père malade, on lui a posé des questions et encore des questions. Salim tremblait de peur et de froid. Après onze heures, l'officier est passé de tente en tente, leur demandant, avec colère et dans un arabe approximatif, de se rhabiller. Ils ont tous mis des vêtements qui n'étaient pas les leurs et ont quitté la ville. Salim a cherché sa femme et ses enfants et il avait honte de son accoutrement. Il a dormi près de la tente. Lui au moins, n'était pas mort.
La vie sous les bombardements 84
Le char
Depuis une semaine le char se déplace jour et nuit comme un scarabée, sur la haute colline de sable, envoyant ses salves vers la ville. En début d'après-midi il a tourné son long canon vers la mer, en direction des tentes disposées sur le sable. Salma a dit : « Ô Seigneur, protège-moi... Ô Seigneur, protège-nous. » Le char a légèrement reculé, orientant son canon vers le haut puis vers la droite, en direction des tentes. Il a lâché de longues rafales. Les gens se sont couchés sur le ventre. Une balle a pénétré le sac de farine d'Abou Al-Abd, et d'autres balles ont touché Mohsen et Salim. Muhammad Naji était en train de manger lorsqu'une des balles a traversé sa poitrine par derrière et s'est logée dans son cœur. Muhammad Naji est mort. Avant le coucher du soleil, son corps a été enterré. Le char est parti de l'autre côté pour poursuivre son cycle de mort et destruction.
La vie sous les bombardements 85
Nafez
Nafez n’arrive pas à suivre tous les bombardements. Y a de trop de bombes qui viennent de toutes les directions, de la terre, de la mer et du ciel, trop d’explosions et de missiles qui se succèdent inlassablement. Nafez tente d’observer chaque obus pour savoir d'où il vient et ce qu'il vise. Le bruit des bombes si proche au-dessus de sa tête lui fait parfois penser que c'est lui la cible.
Nafez a construit deux abris, dans deux endroits différents. Il fuit de l’un à l'autre. Quand les bombardements s'intensifient d’un côté, il se réfugie dans l'autre. Nafez a quitté une belle et grande ferme où il cultivait des tomates et des aubergines. Pour la première fois, il achète des tomates et il fait la queue devant une organisation qui distribue de l'eau et de la nourriture.
La vie sous les bombardements 86
Jeux d’enfants
La famille de Rami se compose de cinq personnes, lui, sa femme, deux fils et une fille. Sa petite tente est divisée en deux : un endroit pour dormir, un endroit pour manger et, à l'extérieur, des toilettes. Rami possède une petite lampe, qu'il charge auprès de son voisin Abou Muhammad. Elle lui permet d’éclairer la tente pendant deux heures à la nuit tombée.
Rami sort chaque matin dans l’espoir de rencontrer quelqu'un qui aurait la gentillesse de lui offrir un panier de provisions, ou de lui proposer des légumes ou une couverture pour une prochaine fois. Son fils Yassin se rend chaque matin à l'hospice pour chercher de la soupe aux lentilles. Parfois il la ramène en toute sécurité, mais souvent il trébuche, ou un passant le bouscule, et il revient bredouille, déçu. Alors sa mère le console.
La petite Reem joue avec les enfants dans le sable, autour des tentes. Ils construisent des maisons avec un mur de sable autour, et devant, un magasin où il y a des pommes, des bananes et d'autres fruits. Nader a érigé une colline de sable surmontée d'un char, qui fait du bruit, détruit les maisons et écrase le magasin de fruits. Les enfants rient et créent de nouveaux rêves.
La vie sous les bombardements 87
Pièce de théatre
Ce soir-là, au milieu d'une forêt de tentes illuminées par intermittence, la lune diffuse sa lumière à travers les nuages. Des garçons se sont rassemblés, venant des quartiers, villages et camps de la Bande de Gaza. Ils sont réunis par la guerre, la fuite devant les bombardements et la recherche de la sécurité. Ils se sont divisés en trois groupes.
Le chef du premier groupe s'est levé et a dit: « Il faut que tout le monde sache que nous sommes les plus forts. Comment osez-vous nous défier? Vous les monstres, les insectes, nous allons vous expulser de cette terre. C’est notre terre, et vous n'êtes que des bûcherons et des arroseurs. Sortez de vos maisons et quittez cette terre. » Les autres membres du groupe l’ont applaudi et ils ont scandé: « Nous sommes avec toi. Nous les tuerons et démolirons leurs maisons. Nous leur donnerons une leçon qu’ils n’oublieront pas, et nous leur couperons la nourriture et l’eau. »
Le chef du deuxième groupe, s'est levé et a dit: « Faites ce que vous voulez, tuez, détruisez. Nous, Palestiniens, vivons sous des tentes, nous avons faim, nous avons soif, mais nous ne renoncerons pas à nos droits. L'histoire se souviendra que nous étions seuls devant votre puissante armée. Nous sommes un peuple qui n'a pas peur des massacres. »
Le chef du troisième groupe s'est levé et a déclaré: « Les droits de l'homme ne sont pas sujets à discussion. Il faut que tout le monde sache que ces meurtres et ces destructions sont injustifiés. Affamer les gens et les expulser de leurs maisons est un crime. Tout le monde a le droit de vivre en paix. La guerre doit cesser immédiatement. »
Le chef du premier groupe a hurlé: « Nous ne nous soucions ni de votre résistance, ni de vos lois. Vous pouvez bien affirmer ce que vous voulez. Nos ordres passent à travers les canons de nos fusils. » L’ensemble du groupe a scandé: « Oui, nous ne nous soucions pas de vos lois. Nous tuerons et combattrons où nous voudrons et quand nous voudrons. »
La lune s'est approchée de la mer, les lumières de nombreuses tentes se sont éteintes. Abou Mahmoud a éternué et il a entendu au loin le bruit des véhicules de l’aide alimentaire. Saed a dit : « Les aides, les aides arrivent. » Les enfants se sont réveillés. Mansour a dit « Ô Seigneur, de la farine, Ô Seigneur, de la farine. »
La vie sous les bombardements 88
Musleh
Musleh est professeur de langue arabe à l'Agence de secours des Nations Unies (UNRWA).Il est grand et chauve. Il s'est marié à trente ans et il a eu deux fils et deux filles. Il s'est enfui pour vivre dans une petite tente à Al-Mawasi. Un matin il a chuchoté à sa femme, « Quel est notre petit-déjeuner aujourd'hui? » La femme a dit : « Des conserves comme d'habitude. » Musleh a répondu : " Je vais aller au marché de Deir al-Balah aujourd'hui et je vais t'acheter ce que tu veux. Préparons le petit-déjeuner comme pour le Ramadan de l'année dernière". La femme a souri et a dit : " J'aimerai tant." La fille aînée a dit "molokhiya et poulet." La petite a dit: "des pommes, des pommes." Le mari a dit " je vais essayer. Je vais essayer."
A midi, Musleh est allé au marché. Tout au long de la rue il a cherché du poulet, des œufs, du molokhia, de la viande et des fruits. Il a posé des questions sur son ami, le propriétaire de la confiserie, mais il n'a trouvé ni le magasin ni son propriétaire. Il a essuyé ses larmes avec ses deux mains et il est revenu vers ses enfants avec un kilo de riz et un kilo de tomates.
La vie sous les bombardements 89
Samira
Samira a donné naissance à son enfant une semaine avant la guerre. Elle l'a appelé Mussa, d'après nom de son grand-père, le célèbre juge populaire. Son père est mort en martyr le deuxième jour de la guerre. Samira a fui avec sa tante vers une école de l'Agence de secours des Nations Unies (UNRWA) à Khan Yunès, puis près du "rond-point de L'avion" à Rafah, et enfin dans une petite tente à Al-Mawasi près d'Al-Qarara, à l'ouest de la ville de Hamad. Les soldats ont encerclé la ville, et les chars cachés dans les dunes qui l'entourent, tirent jour et nuit. Le canon positionné près de la ligne d'armistice envoie des obus en plein cœur et autour de la ville. Le bombardement s'approche du camp de réfugiés. Samira tient son enfant dans ses bras en tremblant. Abou Al-Abd crie : « Ce sont des bombes assourdissantes. N'ayez pas peur. N'ayez pas peur. » Les bombes tombent les unes après les autres. Après chaque obus le sol tremble et les éclats transpercent les tentes et provoquent la terreur. Samira serre Mussa dans ses bras et s'enfuit pieds nus vers la mer. Elle s'assoit dans une canalisation en ciment pour donner le sein à son enfant. Elle sourit et touche la joue de Mussa, le chatouillant en vain pour le faire rire,
La vie sous les bombardements 90
Jasser
Jasser est un garçon de treize ans, en huitième année. Il aime le sport. Il arbore la même coupe de cheveux que Perez, le joueur le plus important du Real Madrid, qu'il soutient. Jasser travaille avec son père dans un magasin d'électroménager. Il maîtrise l'électricité et c’est un bon vendeur. Il veut devenir ingénieur en électronique.
Quand la guerre a éclaté, Jasser a fui avec sa famille à Al-Mawasi. Il a du quitter l'école, la maison et le magasin. Ils n'ont plus ni électricité ni télévision et Jasser ne regarde plus ni Madrid ni Manchester.
Les chars ont pris d'assaut la ville et ont fait des ravages dans le quartier et au-delà. Jasser a gravi une haute colline, et il observe la ville de loin. Il entend les bombardements et voit les fumées noires et blanches. Quand les bombardements ont cessé, Jasser s'est faufilé avec son père pour retourner inspecter la maison, le quartier et le magasin. Les bombardements ont repris. Jasser a été touché et le sang coulait de ses jambes. Son père l’a porté sur son dos d'une rue à l'autre. Le médecin a dit : « Tu vas bien, Jasser. » mais Jasser a demandé au médecin en pleurant : Pourrai-je encore jouer au football? Et étudier l'électronique ?
La vie sous les bombardements 91
Mariam
Son visage est laid. Ses cheveux sont noirs et ses yeux marrons. Elle a sept ans. Elle s'assoit au premier rang. Elle attend l'année scolaire depuis le printemps de cette année. Maryam adore chanter. Elle chante pour les oiseaux et les fleurs, pour l'espoir et la vie. Ses camarades de classe l'ont applaudie à plusieurs reprises. Maryam a dit à la maitresse : "Je veux devenir une artiste célèbre" et l’institutrice a répondu: " Oui, Maryam, avec de l'entraînement et de la détermination, tu peux y arriver."
Quand la guerre a éclaté, Maryam a fui avec sa famille vers une zone plus sûre. Elle y est restée dans une petite tente. Chaque matin elle sortait pour jouer avec les enfants dans la cour près du mur. Elle y a construit une belle maison en gravier, entourée de collines de sable pour la protéger. Elle a placé dessus un petit bâton surmonté d’un drapeau.
Quand elle entend le bruit des bombardements, elle court en vitesse vers la tente se réfugier dans les bras de sa mère. Quand le bombardement s'arrête, elle sort pour construire une nouvelle maison avec des arbres et des fleurs.
Les larmes aux yeux, la mère de Maryam a déclaré à la télévision : « Ma fille jouait avec les enfants. Elle n'a jamais fait de mal à personne. Quelle a été sa faute pour mourir ainsi? »
La vie sous les bombardements 92
Naama
La famille s'est installée temporairement dans l'un des quartiers pauvres de Deir-Al-Balah. Elle pense que c'est un endroit plus sûr. Naama vit avec son mari Hussein, qui a la peau plutôt noire, sa fille Widad, si jolie et son fils, étudiant à l'université en première année d'étude en multimedias. Naama a dit: « Celui qui survivra à cette guerre sera comme un nouveau-né." À une heure du matin des soldats ont pris d'assaut les lieux. Un hélicoptère Apache a tiré des rafales continues de longues balles qui ont touché le mur proche. Naama, son mari et les enfants ont été blessés. Une semaine plus tard, son fils est décédé. Sa fille a subi une opération chirurgicale aux intestins. Naama a été transférée à l'étranger pour un traitement adéquat et Hussein, son mari n'a plus qu'une seule main.
La vie sous les bombardements 93
Première grossesse
Aed a refusé de se marier avant d'avoir terminé la maison, posé les carreaux, achevé les peintures à l'intérieur et à l'extérieur, acheté les canapés et les matelas.
Le père a dit: "Maintenant, nous devons fêter la nouvelle maison." L'oncle Abu Alaa a dit: "le déjeuner est à ma charge". La mère, Um Aed, se tenait devant la maison et a poussé trois youyous, comme promis. Elle a dit : « Maintenant, nous devons fixer la date du mariage. » Aed a souri et a dit: « Doucement maman. » La mère a répondu : « Je veux entendre les voix des enfants remplir la maison. »
Une grande fête a eu lieu et s'est étendue dans la rue voisine. Les jeunes ont dansé et chanté au son de la flute et de l'argul.
La guerre a éclaté et la famille a fui vers la zone dont les soldats disaient qu'elle était sûre. Ils ont vécu comme les autres dans une tente faite de bois et de plastique.
Les soldats ont démoli la nouvelle maison et la jeune épousée n'a pas pu arriver à l'hôpital pour accoucher.
L'enfant est mort mais la mère a survécu. Lors des condoléances, la tante Halima a dit : « Vous êtes en vie. C’est le plus important. »
La vie sous les bombardements 94
La radio de Sobhi
Sobhi est trisomique. Tout le monde le connaît et l'aime. Il possède une petite radio, accrochée à un cordon noir passé autour de son cou. Il écoute des chansons. Parfois il se balance au rythme de la musique. Il danse en souriant. À cause de l'intensité des bombardements, la population a fui. Terrifié, Sobhi s'est enfui, lui aussi, sans savoir pourquoi ni vers où. Il a couru derrière les gens. Il a oublié la radio chez lui. Depuis, Sobhi traîne toute la journée dans le camp des déplacés, sans radio ni musique. Quand on lui demande où est sa radio, Sobhi agite les mains en l'air avec regret. Un jour qu’il passe devant le marché temporaire près du camp il voit sa radio avec le cordon noir. Elle est à vendre, avec d'autres appareils électriques volés. A la barbe du voleur, Sobhi récupère sa radio et s'enfuit vers le camp. Mais le vendeur le rattrape et l'arrête. Apeuré, Sobhi serre sa radio dans ses bras de toutes ses forces. Il crie et se débat. Les gens rassemblés autour d’eux prennent partie pour Sobhi et décident de restituer la radio à son propriétaire.
La vie sous les bombardements 95
Le secouriste
Depuis son enfance, Hani rêve de devenir secouriste comme son oncle Louay. Il dessine sur son carnet une ambulance prête à démarrer, puis une voiture qui se dirige vers l'accident et un ambulancier prêt à intervenir auprès d'un blessé. Il dit à ses amis : « Cet homme courageux s'appelle Hani ».
Hani a grandi, il est devenu un brillant étudiant de l'École d'infirmières. Au cours de sa quatrième année, la guerre a éclaté. Des maisons, des écoles, des lieux de culte, des universités et des hôpitaux ont été bombardés. L'École d'infirmières a été détruite et des personnes sont mortes: enfants, adultes, hommes et femmes. Hani a convaincu ses collègues de rejoindre les urgences. Il est parti sous les bombardements pour secourir les victimes et panser leurs plaies. Les soldats ont coupé la route vers l'hôpital. Alors Hani a ouvert une salle de soins dans sa maison. Les soldats ont bombardé les lieux. Hani a transporté les blessés dans un autre endroit.
De grandes funérailles ont démarré depuis le camp de réfugiés, auxquelles adultes et enfants ont participé en larmes, et sur la tombe, on a écrit, comme il l’avait demandé : « Ici repose l'ambulancier Hani. »
La vie sous les bombardements 96
Le berger
Le soleil est sur le point de se lever. Les moutons descendent la route étroite et sinueuse en soulevant un nuage de poussière. Le chien Wadah se tient prêt à ramener les bêtes qui s'éloigneraient du chemin. Nayef est inquiet car, ce matin, les pigeons volent sans but, les fous de Bassan sont silencieux et, à l’aube, même les coqs n'ont pas chanté. La mère dit : « J'ai rêvé. Un rêve comme un cauchemar. Fais attention à toi, Nayef, ne t’approche surtout pas de la ville. Les bombardements et les destructions n'ont pas cessé depuis hier. »
La petite radio de Nayef diffuse les chants du Fayrouz. Nayef éteint son poste alors que le bruit des balles se rapproche. Wadah s'accroche à Nayef, criant d'effroi et tremblant de peur. Le bélier aux longues cornes qui conduit le troupeau le mène vers la forêt. Tout à coup, depuis les arbres, des missiles sont tirés et des branches volent dans le ciel. Le canon riposte à cinq reprises. Un obus touche Nayef au ventre.
A l'hôpital, Nayef sort du coma, sourit à sa mère, qui le serre dans ses bras. Il lui demande de prolonger le rêve et il s'endort.
La vie sous les bombardements 97
Le noyer
Abu Jamil possède la plus belle maison du village. Il a travaillé dans le Golfe pendant trente-huit ans. Revenu au village il a construit une maison entourée d'un haut mur qui semble la serrer dans ses bras. Cette enceinte a une porte principale sombre qui bouge aussi légèrement qu'un serpent en fuite. Dans son jardin poussent des fleurs de toutes les couleurs et de toutes les formes ainsi que des arbres à la cime desquels chantent les oiseaux. A Beit Lahia, Abu Jamil a acheté un noyer et l'a planté. L'arbre a poussé et ses branches se sont étendues vers le ciel. Abu Jamil récolte les noix avant de les mettre à sécher au soleil. Ensuite il en remplit des petits sacs transparents qu’il distribue à ses proches et à ses voisins.
Les soldats ont encerclé le village, les canons ont rugi et les armes ont craché leurs balles, tuant les gens, abattant les arbres et démolissant les murs.
Abu Jamil et sa femme ont fui à pied. Ils se sont installés dans une petite tente dans le camp de réfugiés. Chaque matin, Abu Jamil regarde sur son téléphone la vidéo de sa maison avec le noyer qui domine le jardin, tel un veilleur. Sur les décombres de sa maison détruite et avec les restes du tronc du noyer brisé et à l’aide de ses branches cassées, Abu Jamil a construit une cabane semblable à celle d'un vieux pêcheur.
La vie sous les bombardements 98
Ahmed est blessé
Ahmed a une vingtaine d'années. De taille moyenne, il sourit si légèrement qu’on devine à peine ses dents. Il est brun et agile comme un jeune cheval. Comme il détestait l'école et la maîtresse, il a quitté l'école. L'institutrice a dit à son père: « Votre fils est un âne. Lui et une chaise, c’est pareil !»
Ahmed a appris le métier de maçon et quand il a commencé à bâtir des murs on a vu qu’il était devenu un professionnel compétent et créatif, travaillant sans relâche. Il s'est marié à une femme paisible et ils ont eu un enfant qui lui ressemble beaucoup.
Face à l'horreur des bombardements et aux menaces des soldats, Ahmed et sa famille ont fui. Ils se sont réfugiés chez des proches avant d’aller vivre dans une tente près de la mosquée Al-Attar à Rafah. Ensuite ils sont retournés chez eux avant de s’installer finalement à Deir Al-Balah. La maison près de sa tente a été bombardée. Ahmed a été blessé alors qu'il se reposait sous la tente. Le projectile a traversé son ventre, du côté droit. Sa femme a appelé au secours. Des jeunes l'ont porté à l'hôpital. Là, il a souri à son jeune fils et lui a dit : « Ne pleure pas, idiot, je vais bien. »
La vie sous les bombardements 99
Hussein
A minuit, les bombardements se sont intensifiés. Les gens ont pris la fuite avec leurs enfants, emportant leurs papiers en abandonnant leurs tentes et le reste de leurs meubles. La rue Al-Rashid était remplie de fugitifs qui se sont réfugiés derrière des murs ou sur les collines environnantes. Des balles venues de toutes parts rompaient le silence et le calme des lieux. Hussein a serré son jeune fils dans ses bras. Le sifflement des tirs se faisant de plus en plus intense autour de lui, Hussein s'est enfui en zigzagant. Quand un projectile a touché la jambe droite d’Hussein, l’enfant est tombé mais un des fugitifs a réussi à le prendre dans ses bras.
Plus tard, quand les bombardements ont cessé, les gens sont retournés sous les tentes et la vie a repris son cours. Après deux mois en fauteuil roulant, Hussein raconte son histoire : comment il a été blessé, puis soigné à l'hôpital. Et comment sa jambe a été amputée. Inlassablement, Hussein raconte son histoire. Encore et encore…
La vie sous les bombardements 100
Abou Al-Saeed
Hassan Abou Al-Saeed visite chaque tente du camp de réfugiés. Il en connaît tous les occupants, les adultes, les enfants, les martyrs et les blessés. Il se montre toujours souriant. Il porte une chemise bleue comme la couleur de la mer, des cheveux foncés et longs, des chaussures brillantes et noires comme la nuit.
Abou Al-Saeed porte le deuil de quatre enfants assassinés au cours du premier mois de la guerre: Saeed, qui est entré dans un tunnel et n'est pas revenu, Nader mort à sept heures du matin près du rond-point du club, Louaye tué à la frontière palestino-égyptienne et Tahseen, décédé et enterré à l’hôpital où il avait été admis deux jours après des heurts avec des voleurs.
Assis sur un tronc de palmier, à la terrasse de la cafétéria près de la mer, Abou Al-Saeed boit du thé fort en écoutant les informations. Il raconte de nombreuses anecdotes à propos de ses fils, Saeed, Nader, Louay et Tahseen. Après chaque histoire, il tourne son visage vers la mer et fond en larmes.
La vie sous les bombardements 101
Al-Oudini
Les soldats ont encerclé la ville et ont demandé à tout le monde d'évacuer immédiatement les lieux. L'officier crie : « Cinq par cinq, espèces d'ânes, vos papiers au-dessus de la tête. Obéissez ou vous mourrez ! »
Al-Oudini n'a pas obtempéré, il est resté dans son appartement au milieu de la ville. Il a pensé qu'il était sauvé. Le premier jour il n'a pas dormi. Puis les bombardements se sont rapprochés et l'appartement d’en face a été détruit. Al-Oudini tremble quand il entend le bruit des bottes des soldats qui arrivent. Quand la porte de l'appartement a explosé, il a enlevé ses vêtements et a levé les mains en l’air. Les soldats ont crié : « Pourquoi tu n'es pas sorti ? Et l'officier a ajouté: « Choisis ta méthode d'exécution. Par balle ou brûlé vif ? ». Al-Oudini a répondu: « Je ne suis pas contre vous, je n'ai jamais tiré une seule balle de ma vie ». Le soldat l’a poussé et Al-Oudini est tombé. L'officier a ajouté : « Prends ces bombes et colle-les sur la porte des appartements ». Sous la surveillance du chien, Al-Oudini s’est déplacé d'appartement en appartement et il a posé les bombes. L'officier a crié : « Cinq, quatre, trois, deux, un », et les bombes ont explosé. Les portes brisées, les drones et le chien sont entrés dans les appartements pour les fouiller. Al-Oudini a dû se déplacer d'immeuble en immeuble sous le regard du chien et des drones qui flottaient au-dessus de sa tête pendant que l'officier préparait de nouvelles portes à faire sauter. Ensuite, le chien s'engouffrait dans chaque pièce, flairant chaque recoin.
Al-Oudini à réussi à s’enfuir, se déplaçant et se cachant d'une maison à l'autre, d'une colline à l'autre, de camp en camp et de tente en tente. Terrorisé, choqué, en imitant l'officier il compte « cinq, quatre, trois, deux, un » et il éclate de rire.
La vie sous les bombardements 102
Le cinquième jour
La vieille Sobha, ne connaît pas sa date de naissance. Sa carte d'identité a été perdue lors de la guerre de 2014 et elle n'a pas cherché à la refaire. Sobha a dépassé les 60 ans depuis une décennie ou peut-être plus. Sobha n'a ni mari, ni fils, ni filles. Sa longue histoire cache un mystère que personne ne connaît. Sobha vit avec ses huit poules, son coq et onze couples de pigeons. Les pigeonniers sont perchés à l'extrémité nord de la maison. Son coq chante matin et soir. Au petit matin les pigeons s’envolent vers l'est et reviennent peu avant midi. Ils se tiennent alors au sommet d'un figuier avant de rentrer tôt dans leurs pigeonniers pour y passer la nuit. Sobha vit de la vente de pigeonneaux et des œufs de ses poules.
Le cinquième jour de la guerre, un tir a démoli le mur sud de sa maison et les éclats d'obus ont brisé toutes les vieilles portes et fenêtres. Miraculeusement, la vieille femme a été épargnée. Les pigeons se sont envolés, les poulets se sont dispersés et la vieille Sobha, s'est enfuie dans une vieille charrette chez l'un de ses voisins. Avant que la charrette n'atteigne l'endroit sûr, un drone l'a bombardée.
Seul son voisin a survécu.
La vie sous les bombardements 103
Thuraya
Depuis que son mari l'a quittée, Thuraya vit avec ses deux enfants et son vieux père handicapé. Les bombardements se sont intensifiés et la fumée s'est élevée de toutes parts. Tous les habitants du quartier ont pris la fuite. Thuraya, ses deux enfants, et son vieux père s’aidant de sa béquille sont partis devant. Mais quand les bombardements se sont intensifiés, ils se sont retrouvés encerclés et la route a été fermée. Terrorisés ils ont du rentrer chez eux. A cause de la peur, ils n'ont pas pu dormir. La maison a été bombardée et le père a été tué par le premier obus. Les suivants ont causé la mort des deux enfants. Seule Thuraya a survécu. Quand les soldats ont pris d'assaut les lieux, ils lui ont crié dessus, comme des diables : « Pourquoi es-tu ici? Pourquoi ne t'es-tu pas enfuie? Pourquoi? Que fais-tu ici? Comment s'appelle ton mari? Tu es donc la femme de Mahmoud, recherché comme terroriste. Dis-nous, où il se trouve. »
Les soldats l'ont emmenée à la prison, l'ont torturé et lui ont posé des questions sans répit.
Après quarante jours de détention et d’interrogatoire, Thuraya a finalement été libérée.
Libre, mais condamnée à vivre avec des béquilles pour le restant de sa vie.
La vie sous bombardement 104
La famille Al-Astal
La famille Al-Astal vit dans le nord de la ville de Khan Younès. L'armée a envoyé des SMS aux habitants leur demandant d'évacuer immédiatement le quartier. La majorité des habitants est partie, emportant autant d'eau et de nourriture que possible. La famille Al-Astal est restée sur place. Après quelques jours, l'armée a demandé à la famille Al-Astal de se rassembler et de déménager pour vivre dans le bâtiment Al-Mukhtar d’Abu Adel, et de se tenir loin des fenêtres. Et de ne pas sortir, quoi qu'il arrive. Abu Adel a fermé la porte principale du bâtiment et a demandé aux jeunes et aux vieux, aux hommes et aux femmes, de rester calmes. Après dix jours, le contact avec Abu Adel et le reste des résidents du bâtiment a été coupé. Les proches se sont inquiétés et ont réalisé qu’un désastre avait eu lieu. Trois hommes se sont infiltrés pour faire une reconnaissance. Ils ont trouvé le quartier rasé, totalement détruit, avec des corps éparpillés dans les arbres et autour du bâtiment d'Abu Adel. Ils ont essayé d’emporter certains cadavres d'enfants, dont les corps avaient été déchiquetés, sur un petit chariot. Le chariot avec les sauveteurs a été bombardé. Abu Adel et les soixante-trois résidents de l’immeuble ont été rayés de la liste des vivants.
La vie sous les bombardements 105
Que feras-tu?
Si la guerre se termine et que tu retournes dans les ruines de ta maison, que feras-tu? Comment rendras-tu visite au fils enterré dans une fosse commune ? Comment communiqueras-tu avec le mari détenu dans un lieu inconnu? Et avec la seule fille mariée qui a fui avec son mari en Egypte?
Peut-être la maison aura-t-elle été détruite et les branches des arbres dans jardin ne seront-ils plus que des cendres? La chatte Candy, avec sa longue queue et ses poils doux, aura-t-elle été surprise et déchiquetée par une balle explosive, ou sera-t-elle morte de faim et de soif ? Peut-être les pigeons et les oiseaux auront-ils quitté leurs nids pour s’enfuir vers un endroit où il n'y ni balles ni de bombes. Retrouveras-tu l'armoire familiale? Les lits des enfants, leurs livres, leurs sacs? Le nouveau canapé que tu n’as pas fini de payer? Restera-t-il quelque chose dans la cuisine? La belle image murale d'un lapin sauvage dévorant un bouquet de trèfle aura-t-elle été détruite? Est-il possible que le tapis ancien ait été emporté par le vent ? Les après-midi où l’on sirotait le thé à côté de la maison reviendront-ils un jour?
Les bombardements ont redoublé et Abu Mohamad a crié: «Encore un obus ! Tous à terre ! Couchez-vous ! »
La vie sous les bombardements 106
Nayfa
La Bédouine Nayfa, a obtenu un diplôme de l'université avec les honneurs. A la veille de la guerre, elle a du rejeter l'offre du chef du département lui proposant d'enseigner à l'université. Personne n'a félicité sa mère, et personne non plus n'a frappé à leur porte, ni tantes ni oncles. Personne n'a appelé, ni le chef de la tribu, ni le maire. Nayfa n'a pas eu le temps d'écrire sur sa page face book: « A vous tous, je suis heureuse de dire qu’à partir d'aujourd'hui, je suis diplômée, Vous pouvez me féliciter. Désormais, je suis ingénieur en communication. Je peux remplacer la conduite d'un âne par celle d’une voiture à larges pneus. La garde des moutons dans les pâturages par la surveillance des réseaux de communication. La récolte du blé et de l'orge, par la réception des appels au sujet de lignes endommagées et par la création de réseaux modernes. Le travail dans le froid ou la chaleur, par un beau bureau circulaire climatisé. »
Mais la guerre a éclaté. Un avion a largué des tracts, flottant dans les airs avant de tomber au sol, pour ordonner aux gens de quitter le pays et de se rendre dans un endroit sûr, Al-Mawasi. Les bombardements se sont rapprochés. Tremblante, Nayfa a rassemblé ses vêtements, ses documents, son téléphone et son ordinateur. Elle les a mis dans le sac qu'elle porte sur son dos, pour aller vivre dans une petite tente. Ses rêves sont renvoyés à un avenir sombre et incertain.
La vie sous les bombardements 107
Le passe-temps d'Oussama
Oussama a seize ans. Il est mince, agile, souriant, sarcastique et audacieux. Il a un regard perçant. Il lit les journaux, écoute les nouvelles, discute, s'excite puis sourit. Il fait le tour du camp plusieurs fois par jour. Sa mère, Saada, est agacée par son nouveau passe-temps qui laisse beaucoup de déchets autour de la tente. Il attend que l'armée quitte un site puis il se chausse et part à vélo à la recherche des traces laissée par les militaire : boîtes de balles, douilles d'obus de canon ou de char, chenille de char cassée, restes de missiles F16 non explosés, cigarettes, noix, pistaches, noisettes, conserves, etc. Ce qu’il ne peut pas transporter, il le photographie et y inscrit le lieu et la date. Quand il trouve un obus non explosé, il le photographie avec précautions dans tout les sens en notant l’endroit où il a été fabriqué et dans quelle langue sont écrites les caractéristiques. Il divise les vestiges des combats en sections, expliquant à ses amis, dans son musée improvisé, l'emplacement et l'histoire de chaque pièce, ainsi que le danger qu’il représente en cas d’explosion: « cet engin explosif a été fabriqué en Amérique, celui-ci en Allemagne, cet obus vient de France, cette nourriture est produite par l'Arabie Saoudite. Oui, oui, l'Arabie Saoudite. Regarde, c'est écrit ici en arabe, une boîte de feuilles de vignes, production de l'Arabie Saoudite.
Oussama attend la fin de la guerre pour collecter encore davantage de déchets. Peut-être pourra-t-il ainsi savoir qui a tué des milliers de ses proches, de membres de sa famille et de son peuple.
La vie sous les bombardements 108
Ma sœur Aziza
« Je te jure, nous allons bien. Nous vivons désormais dans une tente en bois et en plastique, sans électricité. J'ai difficilement accès à Internet, une fois par mois et parfois pas du tout. Je remercie le propriétaire du terrain, il a donné un peu d'eau, salée comme de l'eau de mer. Mes enfants vont loin pour acheter de l'eau potable. Ton cousin Ismail, est mort en martyr au début de ce mois. Nous l'avons pleuré amèrement, nos cœurs sont déchirés. Sa mère Sarah lui rend visite tous les jeudis. Elle pleure et prie pour lui. Votre cousin Naeem a été bombardé par un avion, près de Tal al-Raml, à l'est du camp. La bombe l'a déchiqueté. Son jeune fils, Khaled demande tous les jours quand il va revenir. Notre bon voisin, Abu Salim, a été touché à la tête et il est décédé le lendemain à l'hôpital. La maison de Karim a été bombardée et il se trouve encore avec sa femme et ses enfants sous les décombres.
Ma sœur chérie: Que puis-je te dire? Le cimetière du pays est rempli de morts et a été agrandi à deux reprises. Nous ne savons pas quand cette guerre prendra fin.
Ma sœur Hind vit dans une tente à l'ouest de Rafah. Elle nous rend parfois visite. Elle et ses enfants vont bien. Leur maison en ville a été complètement détruite. Elle est forte, comme tu le sais et elle aime plaisanter et raconter des blagues, fidèle à son habitude. Son beau-père, âgé et atteint d'une maladie chronique, privé de médicaments est malheureusement décédé.
Non, Aziza : Non, non, non, nous n'avons pas besoin d'argent. Ce qui nous a été envoyé est suffisant, mais ma bien-aimée Aziza, prie pour nous tous les matins afin que nous ne quittions pas ce monde prématurément et que cette guerre se termine pendant que nous sommes encore en vie. Donne le bonjour à ton mari et à tes enfants. Vous nous manquez. »
La vie sous les bombardements 109
Rimas
Rimas est issu d'une famille très riche. De taille moyenne, mince, gracieuse comme une gazelle, elle est très belle. Elle adore le chant et les soirées entre amis. Sans sommations le quartier a été bombardé et les chars ont pris d'assaut les maisons. À l'aide de haut-parleurs, les soldats ont ordonné à tout le monde de quitter immédiatement le quartier et de se diriger vers l'unique porte. Rimas et son père ont tenté de convaincre l'officier de les laisser partir avec leur voiture et leur argent. Les soldats ont ri et l'officier a demandé sarcastiquement à son père les clés de la voiture et l'argent du coffre-fort. Ils ont exigé que Rimas leur donne les bijoux en or qu’elle portait aux poignets, aux chevilles et au cou. Les soldats ont éclaté de rire lorsque Rimas a demandé en anglais à son père de contacter le président ou le ministre de la défense.
Aux abords du camp de réfugiés, Rimas a vécu dans une tente triste et déprimante, sans eau ni électricité, sans savon, ni cosmétiques, sans chaussures colorées, sans ses chanteurs préférés: Tamer Hosni, Dhiab, et Umm Kalthum.
Le père de Rimas et les habitants du camp l'ont cherchée dans les hôpitaux proches et lointains, à la Croix-Rouge et d'autres institutions mais ils ne l'ont pas trouvée.
La vie sous les bombardements 110
Assez joué
En fin d'après-midi, avant le coucher du soleil, ils se sont préparés à se battre. Ils se sont divisés en deux groupes: d’un côté Nader, Saeed, Muhammad et Salamah et de l’autre Radwan, Hamza et Mussab. Ils ont disparu parmi les tentes: le groupe de Radwan s'est caché et le groupe de Nader est parti à leur recherche. Le groupe de Radwan a jeté des pierres et Saeed est tombé. Quand la sirène de l’ambulance a retenti, Muhammad et Salama ont porté secours à Saeed. Les combats se sont intensifiés et on a entendu le bruit d'un avion qui approchait. Radwan a demandé à tout le monde de se mettre à l’abri. Le groupe de Radwan s'est rassemblé et a disparu… Boum, boum, boum, des bruits de missiles, des cris et des appels à l'aide ont retenti.
A ce moment, la mère d’Hassan est sortie de la tente en criant : « Fini, les garçons ! Vous avez assez joué ! »
La vie sous les bombardements 111
Raghad est blessée
A l'est de Rafah, à la frontière égyptienne, les tentes sont détruites, les corps sont déchiquetés, et sans secours, les blessés gémissent en vain. Il n'y a ni eau ni nourriture. Le lieu est entouré de chars. Le canon bombarde, les balles sifflent dans toutes les directions et les avions tournent dans le ciel. Dans le haut-parleur, un officier crie: " A part vous, Il n'y a plus personne à Gaza. Nous allons débarrasser le monde de votre peuple. Nous avons patienté trop longtemps. Cette terre est à nous. Nous allons l’occuper, la cultiver et tout reconstruire. L'armée égyptienne tire, le sang coule. Les gens tentent de s'enfuir mais les corps s'accrochent aux barbelés. Les chars s'approchent, écrasent les gens, les coupant en morceaux. Un homme s'agrippe au char mais un soldat sort son arme et le tue. Les drones abattent ceux qui s'échappent. Le char s'approche de Raghad qui se prépare à mourir. Une balle la touche à l’abdomen. Elle saigne, transpire de peur et, terrifiée, elle crie.
Sa mère la réveille et la serre dans ses bras en lui disant: "C'est un cauchemar, ne t'inquiète pas, nous survivrons. Ils ne réussiront pas à nous effacer de cette terre. Nous allons la repeupler et la cultiver à nouveau".
La vie sous les bombardements 112
Abou Salman
Il a plus de soixante ans, et il n'est pas marié. Il dort dans une cabane en tôle sans porte ni fenêtre. Tout le monde le connaît. Il aime la simplicité, la musique et les mariages où il chante et danse la dabké. Ouvrier, il a exécuté toutes sortes de travaux dans les usines et dans les fermes ; tout à tour, il s'est fait vendeur ambulant, porteur, éboueur, il a même nettoyé des poulaillers. Mais Abou Salman vieillit et s'affaiblit. Il souffre de diabète et d'hypertension. Pendant la guerre, il a fui avec la population de Beit Lahia vers Gaza-ville puis vers Deir- al-Balah, et enfin de Deir-al-Balah vers Rafah.
Aussi, quand les soldats intiment les habitants de quitter Rafah et de se diriger vers Khan-Younes ou le centre, Abou Salman ne sait plus où aller. Il n'a pas d'argent, pas de famille, plus rien à manger. Un matin, tôt, il a pris son sac et s'est dirigé vers le nord. Dans l'après-midi, il est arrivé à Mawasi al-Qarara. Il est tombé d’épuisement dans la rue. Des passants lui ont donné de l'eau et l'ont emmené chez le médecin. Abou Salman s'est endormi dans la tente médicale. Le lendemain matin il ne s'est pas réveillé.
La vie sous les bombardements 113
Mon ami Michel
Ne t'inquiète pas Michel, nous sommes dans un camp à l'ouest de Rafah. Nous avons fait la connaissance de nouveaux voisins, d'Al-Shuja'iya et de Sheikh Radwan. Nous nous plaignons, ensemble, de la situation. Les femmes pleurent parfois. Les enfants jouent, parmi les tentes, pieds nus. Nous avons de l'eau, et un peu de nourriture. La nuit dernière, le rugissement des canons n'a pas cessé. Les premiers obus ont tué quatre frères. Nous avons célébré leurs obsèques, ce matin, dans le cimetière Abou Thuayr. La seconde salve d’obus a détruit le réservoir d'eau vide. Aujourd'hui, les bombardements se sont un peu éloignés de nous, mais ils pourraient revenir à tout moment.
Cher Michel, nous avons perdu beaucoup d'êtres chers, mon neveu Ismail, mon cousin Yassin, le fils de ma chère sœur Samira, et notre bon voisin Abu Khaled, ainsi que le docteur Nafez, sa femme et ses enfants.
Je me souviens de lui lors de votre dernier voyage avant la guerre. Nous avions déjeuné dans sa maison d'une Maklouba. Ma maison et celle de mon fils ont été bombardées le mercredi 20 mars et ne sont plus qu’un tas de souvenirs. Je me rappelle de l'élégante clinique Al-Balad, où travaillait ma fille. Ce magnifique bâtiment que nous attendions depuis des années a été complètement détruit le deuxième jour de la guerre.
Cher Michel, j'ai pu regarder la dernière manifestation à Rome où je t'ai vu, parmi d'autres, scander contre le génocide d'un peuple. Michel, si nous restons en vie, nous reconstruirons la maison et la clinique. Tu seras notre invité et nous déjeunerons ensemble, en toute sécurite, d'une Maklouba.
La vie sous les bombardements 114
Abou Mounir
Il est propriétaire d'une chaîne de restaurants, d’usines, de chalets et de villages touristiques. Ses fils et lui possèdent une flotte de voitures. Son fils Mounir est diplômé de l'Université d'Oxford. Sa fille unique, Hanadi, est diplômée de la Sorbonne en France.
Abou Mounir ne pleure pas pour rien. Ils ont tout perdu. Le grand coffre-fort de la maison de la rue Al-Rimal a été pillé. Il n'y a plus ni usines, ni restaurants, ni villages, ni voitures, ni chèques ou contrats.
Abou Mounir n'a même pas de quoi acheter une tente, une cigarette ou un café. Il se met dans le rang pour obtenir une bouteille d'eau ou un repas et revient déçu, la tête basse. Il n'a pas de quoi payer un taxi du rond-point Al-Awda au rond-point Al-Alam. Abou Mounir essaie de contacter ses amis, ses clients… Sans réponse. Abou Mounir se faufile furtivement dans sa maison de la rue Al Wahda et n’en ressort plus.
La vie sous les bombardements 115
Propagande fatale
La famille Naseem vit à la périphérie, loin du centre-ville, dans une petite maison entourée d'oliviers. Près de la maison se trouve un mûrier aux fruits noirs, au goût délicieux. Au sud-est on trouve un sycomore centenaire sur les branches duquel grimpe un pied de vigne à raisin noirs. Une nuit, des chars ont encerclé la propriété. Un bulldozer D9 a tout arraché, l'olivier, le mûrier et le sycomore. Les soldats ont arrêté le fils aîné, Louay. Le père, la mère, et leur plus jeune fils, Naseem, ont fui vers la rue Al-Shakoush, à l'ouest de Rafah. Depuis, ils vivent dans une tente près de leurs proches. Naseem vend des conserves sur la voie publique. Un avion a largué, à l’aide de parachutes, des cartons contenant des tracts de propagande. Une de ces caisses, sans parachute, est tombée sur la tête de Naseem. Il n’a pas survécu.
La vie sous les bombardements 116
Bonjour maman
« Maman, ils ont bombardé la maison mitoyenne. Notre maison a tremblé et les fenêtres ont été brisées. Ma fille s'est réveillée en criant qu’une grosse pierre était tombée près de son lit ! Vers où allons-nous pouvoir nous enfuir ? »
« Écoute-moi bien, ma fille, ne te soucie pas du lieu où aller. Le plus important, pour vous, est de rester à l'écart des bombardements et de la mort. Toi, ta fille et ton mari, quittez la maison immédiatement. Qu'attendez-vous ? La mort ? Vite, vite, serrez la petite dans vos bras et calmez-la, toi et ton mari. Ouvre ton sac, vide-le complètement et rassemble les documents importants: passeports, actes de naissance, actes officiels d'achat et vente, chargeurs de portable. L'argent, met-le dans un petit sac, avec quelques vêtements et les couches du bébé. Ne pense pas à la maison, aux meubles, à l'armoire ni aux tapis. Oublie les appareils électriques, les photos et les chaussures. Pars sans rien emporter de tout ça. Ne te préoccupe pas de savoir si la maison sera détruite, brûlée, cambriolée. Dépêche-toi, sauve-toi avec ton mari et ta fille. Reste forte, ma fille, préserve ta vie et celle de ta famille et que Dieu soit avec toi. Appelle-moi quand vous serez loin des bombardements ».
La vie sous les bombardements 117
Abu Milad
Il est soudainement réapparu en ville. Avec son visage ridé, les cheveux blancs, les quelques dents qui lui restent, l’homme semble avoir largement passé la soixantaine. Devant lui, une vieille machine à coudre n'arrête pas de ronronner tandis qu’il fredonne un air joyeux.
Abu Milad a passé plus de trente ans en prison. S’il ne connaît pas les jeunes gens, Abu Milad n’a oublié aucun de ceux de sa génération. A sa sortie de prison, il a rendu visite, un par un, à tous ceux qui vivent encore. En plus d'une épouse et d’une fille célibataire, Abu Milad a de nombreux parents et des voisins généreux et gentils qui ont organisé une grande fête pour sa sortie de prison.
Au cours de la troisième semaine de guerre, à l'aube, la maison d'Abu Milad a été bombardée. Sa femme et sa fille sont mortes en martyres. Epargné, Abu Milad a du s’enfuir.
Plus tard Abu Milad est réapparu au milieu des tentes des réfugiés, avec sa machine à coudre au doux ronron, il a recommencé à fredonner. Mais désormais sa mélodie exprime une infinie tristesse et ses yeux se mouillent de larmes.
La vie sous les bombardements 118
Um Karim
Elle s'est mariée à quarante ans passés. Elle a épousé un homme déjà marié et sans enfants. Elle a donné, difficilement, naissance à deux enfants, Karim et Younis. Jour et nuit, elle leur a prodigué soins et attention. Elle leur achetait les jouets les plus chers et les habillait des plus beaux vêtements. Elle les a inscrits dans des écoles privées. À chaque rencontre, la mère de Karim vante leur excellence et leurs succès. Parfois, par crainte des envieux, elle se réfugie dans le silence. Lors d'un voyage scolaire à la mer, Karim et Younis ont failli se noyer. Leur mère a décidé que, de son vivant, ils ne retourneraient plus à la mer.
La mère de Karim et ses enfants ont fui dès le premier obus de la guerre. Ils ont habité sous une tente à l'ouest de Rafah. Un jour, les deux enfants ont demandé à se rendre au magasin voisin. Comme ils insistaient, elle a fini par accepter. Quelques minutes plus tard, énorme, le bruit d’une explosion a retenti. La mère de Karim s’est précipitée en courant vers le lieu du bombardement en appelant les enfants, Karim et Younis. Mais ses appels sont restés sans réponse.
La vie sous les bombardements 119
Les rêves d'Umm Muhammad
« Abu Muhammad, notre maison est grande et belle. Notre jardin est le plus vaste et le plus beau du quartier et même de toute la ville. Le parfum des fleurs de citronniers et d'orangers flotte dans la brise, remplissant l'espace de joie et de bonheur. Si nous vendons la partie est du jardin, nous pourrons acheter de nouveaux meubles et une voiture moderne. » Abu Muhammad sourit à son épouse et lui dit : « Ce sera fait comme tu veux, Umm Muhammad. »
Au milieu d'intenses bombardements et d'une ceinture de tirs qui s'étend sur des kilomètres, les soldats ont envahi le quartier et ont demandé aux gens de sortir immédiatement par l'unique issue, entourée de tous côtés par les chars. Les fusils des tireurs d’élite tuent ceux qui désobéissent aux ordres Une tente, une fois le portail franchi, attend les détenus pour les interroger.
Abu Muhammad et Umm Muhammad vivent sous une tente faite de bois et de plastique. Quand il a entendu que la belle maison et le grand jardin avaient été détruits et rasés le premier jour de l'invasion, Abu Muhammad s’est effondré. Son épouse, Umm Muhammad se tient assise devant la tente, espérant que quelqu'un lui donne du pain et de l'eau
La vie sous les bombardements 120
Mamie, pourquoi tu pleures ?
Elle a envie de pleurer, de crier, d'inspirer tout l'air d'un coup, de soupirer avec un gémissement aussi grand que l'univers. Par où commencer ? La tente des réfugiés peut-elle accueillir toute cette misère ? Appellera-t-elle ses voisines, ses sœurs et ses amis pour pleurer ensemble? Elle ne sait plus pour quoi ni pour qui pleurer : pour son fils enseveli sous les décombres, les membres déchiquetés ? Pour son mari blessé, marchant avec des béquilles? Pour la maison bombardée et détruite ? Sur ce qu’elle a perdu : sa cuisine spacieuse avec ses étagères colorées, sa chambre à coucher, son salon décoré, ses élégants canapés? Le tableau mural, la grande photo du fils martyr? Les photos des jours de mariage, ses beaux vêtements, la robe qu'elle a achetée lors du dernier voyage? Les photos de la remise de diplôme de sa fille unique?
« Mon Dieu, comme la vie est devenu dure et misérable. Où aller? Comment retrouver le sourire, le goût du bonheur. Un torrent de larmes suffira-t-il pour noyer tout ça, tout ce chagrin? » Ses larmes coulent si abondamment de ses yeux et de son nez qu’elle en sent le goût amer et salé au fonds de sa gorge.
Sa petite-fille dit: « Mamie, Mamie, pourquoi tu pleures? » La grand mère la serre dans ses bras et inonde sa belle chevelure de ses larmes intarissables.
La vie sous les bombardements 121
Le grenadier de Sarah
Au coin de la petite maison, le grenadier a prospéré et ses branches ont grandi. Elles ont franchi le mur et elles pendent maintenant vers la maison des voisins. L’arbre a attendu le printemps, l'apparition de nouvelles petites branches et de leurs feuilles vertes, pour accueillir une nouvelle année. Au mois de mars, des fleurs rouges sont apparues et se sont épanouies comme un sourire de fierté sur le visage d'une jolie femme. Quelques fleurs sont tombées tandis que d'autres portaient des fruits colorés comme pour peindre un tableau. Les oiseaux les attendaient, pour, tôt le matin, entonner une chanson optimiste, tel un hymne à la vie.
Sarah veillait sur le grenadier. Avec son téléphone, elle prenait des photos-souvenirs qu'elle postait sur internet, et qu’elle envoyait à ses amies. En septembre elle a cueilli quelques grenades, qu'elle a disposées dans un plat richement décoré. Elle caressait les fruits, leur racontait leur histoire, la date de la plantation de l’arbre quand elle avait tout juste cinq ans et comment elle prenait soin de lui.
Comment imaginer qu’un conducteur de bulldozer D9, cruel et sans cœur serait assez idiot pour oser écraser le mur, l'arbre et la maison en quelques minutes seulement ? Comment Sarah aurait-t-elle pu imaginer une telle chose ? Comment s’en remettre ? Oui, mon Dieu, comment ?
Sarah est allongée devant la tente, un coude enfoncé dans le sable. Quelques larmes tombent sur son bras qu’elle essuie de son autre main.
La vie sous les bombardements 122
Abou Rashad
L’homme est de taille moyenne, mince. Son corps ressemble à un arbre sec. Il porte l'habit traditionnel: une djellaba claire et transparente et un keffieh blanc comme un nuage triste. Il est toujours souriant, il aime la découverte et la lecture. Il mémorise la poésie de Mahmoud Darwish, d'Al-Qasim, de Tawfiq Ziad, de Brecht et de Pablo Neruda. Il écoute tous les bulletins d'information en arabe, en anglais et même en hébreu. Il discute et débat. Il est tolérant avec les autres. En ville Il se déplace de magasin en magasin, prodiguant ses conseils, conversant avec tous, jeunes et vieux, femmes et hommes. Quand la guerre éclate Abu Rashad fuit, comme beaucoup d’autres, devant l’intensité des bombardements. Il passe ses journées à distribuer de l'aide, à organiser des réunions, à critiquer les dirigeants qui ont fui à l'étranger et l’échec des négociateurs, de l'Amérique, d'Israël et du Hamas. Abu Rashad rend visite aux mères des martyrs, console les blessés, prend soin de ceux dont les maisons ont été détruites ou les usines incendiées. De retour dans sa tente, il pleure, dort et rêve. Peut-être se réveillera-t-il dans une patrie sans guerre, sans mort ni bombes. Une patrie où pousse une herbe verte qui n’est pas piétinée par les chars et les pas des envahisseurs.
La vie sous les bombardements 123
Al-Asmar
Son teint est aussi sombre que le khôl. Pourtant il arbore un large sourire. Quand il rit, ses yeux se remplissent de larmes. On entend ses rires de loin. Mais quand il s'énerve, son visage s'assombrit et ses lèvres se gonflent. Malgré sa maigreur, son corps reste fort et musclé.
Depuis le début de la guerre, il exerce un métier rare et excessivement dangereux. Les pleurs de sa mère et les conseils de ses proches n'ont en rien affaiblie sa volonté d'effectuer ce labeur. On demande Al-Asmar pour différentes missions tel que ramener, à leurs parents, un fils mort au champ de bataille, lors d'un bombardement, d'une manifestation, d'une marche ou visé par un tireur d'élite. Ou par une blessure ou une hémorragie qui lui a coûté la vie. Parfois le corps est perdu dans une zone militaire impossible à atteindre. Quand la famille reçoit les coordonnées du lieu du décès, ou l'emplacement du corps de leur fils, ou toute autre information utile, Al-Asmar pose de nombreuses questions. Puis il part à la recherche du martyr : il se faufile, surveille ses arrières, planifie son parcours et le trouve enfin. Il le porte et le ramène à sa famille. Avant de les laisser à leur deuil, il leur parle des dangers de la route qu’il a du traverser.
Des jeunes ont rejoint Al-Asmar qui les a soigneusement sélectionnés, testés et recrutés avant de les former. Le groupe d'Al-Asmar se retrouve tous les soirs au sein du camp. Ils allument un feu à côté de la tente, préparent du thé fort, partagent un repas frugal, racontent des blagues sur les gens courageux et ils rient. Al-Asmar rit aussi avant de s’allonger sur le dos, les yeux remplis de larmes, dans l’attente d’une nouvelle mission.
La vie sous les bombardements 124
Abou Rashid
Abou Rashid possède une grande maison de quatre étages. Au rez-de-chaussée, avec ses fils Rashid, Hassan et Naeem ils gèrent un magasin et un entrepôt de vente de café et autres épices. Malgré son âge avancé, Abou Rashid est le directeur financier de l'entrepôt et le responsable de la famille. Il a des relations et une influence étendues à Gaza et au delà.
Depuis que les bombardements se sont intensifiés et rapprochés des quartiers adjacents. Abou Rashid ne sait plus que faire. Les avions bombardent, le bruit des chars se rapproche, les enfants crient, les gens s'enfuient. La fumée et les explosions suscitent la terreur. Abou Rashid et sa famille finissent par évacuer. En chemin, les voitures et l'argent d'Abou Rashid lui ont été confisqués. Il doit construire des tentes pour sa famille et ses enfants, à Khan Younès. Quand Khan Younès est bombardée. Abou Rashid démonte les tentes et s'enfuit vers Rafah. Quand les bombardements atteignent Rafah, les tentes d'Abou Rashid sont incendiées. Alors, il repart de Rafah vers Khan Younès. Sans tente. Il en cherche une en vain. Il est désespéré.
Quand enfin des avions humanitaires larguent de l'aide aux déplacés à l’aide de grands parachutes. Abou Rashid les récupère et se sert de leur toile pour fabriquer une tente afin d’abriter sa famille, Pour la protéger du froid de la nuit et de la chaleur du jour.
La vie sous les bombardements 125
Salim
Salim vit dans une institution spécialisée pour handicapés, qui le soigne et le protège. Salim passe les week-ends avec sa famille. Il enlace sa mère, lui sourit et l'embrasse. Il lui répète constamment : « Tu es mon amour, tu es mon amour ». La mère est heureuse, le serre dans ses bras et lui dit : « Salim, toi, tu es mon âme ».
Dès le début de la guerre, l’institution a fermé ses portes. Ses employés ont fui. La famille de Salim a fait de même en l'emmenant avec elle. Depuis, ils vivent sous la tente, au milieu du chaos et de la surpopulation. Ils ont de nouveaux voisins. Leur vie est dure, sans eau, sans nourriture, sans sécurité.
Une nuit, Salim est sorti dans l’obscurité. Il a erré de tente en tente, de quartier en quartier, d’un endroit à un autre. Sa mère est partie à sa recherche. Partout, elle l’a cherché, s’est renseigné criant sans cesse son nom: « Salim, Salim, Salim, où es-tu? Tu es mon âme, Salim. » Des volontaires se sont joints à elle pour l’aider dans sa quête. Une semaine a passé, puis deux. Après deux mois la mère de Salim parcourt toujours les environs, de tente en tente. Sans fin, elle interroge les gens et appelle son bien-aimé Salim.
La vie sous les bombardements 126
Youssef
Abou Youssef a travaillé pour une entreprise de télécommunications pendant vingt ans. Il a pris sa retraite à quarante ans pour cause de maladie. Il a épousé une belle fille, avec qui il a eu un garçon qu'il a nommé Youssef d'après le nom de son grand-père.
Youssef a grandi et s'est spécialisé dans les télécommunications, comme son père. Il est devenu un ingénieur talentueux et reconnu. Il a toujours bien pris soin de ses parents et n'a jamais quitté la maison familiale.
Quand la guerre a éclaté, en raison de l'intensité des bombardements, les gens ont fui dans toutes les directions. Abou Youssef a refusé d'évacuer et toutes les tentatives de son fils pour le convaincre ont échoué. Quand les soldats ont pris le quartier d'assaut, maison après maison, la famille de Youssef est sortie, terrifiée, se soutenant mutuellement. Sa mère et sa femme brandissaient des drapeaux blancs. Pourtant, Youssef et sa famille ont été arrêtés et emmenés en détention. Youssef a eu les pieds et les poings liés et il a été jeté face contre terre. Trois jours plus tard ils ont été libérés. Youssef avait une jambe cassée. Ils se sont installés dans un camp de réfugiés. Youssef a ouvert un magasin de réparation de téléphones portables pour les habitants du camp. Il l'a appelé «Youssef Mobiles ».
La vie sous les bombardements 127
Shaker
Le bâtiment hospitalier se situe à dix minutes de marche du portail. Shaker y est gardien. Il parcourt ce chemin depuis plusieurs années. Il a toujours le même uniforme bleu et de solides chaussures marron. Shaker ne sait ni lire ni écrire. Il n'est jamais allé à l'école, mais il connaît tout le personnel de l'hôpital. Quand la guerre a éclaté. Shaker a ouvert le portail en grand et il s'est assis à droite de l'entrée. Il regardait avec tristesse et douleur passer les ambulances, les morts, les blessés, les bénévoles, les familles et les mères. L'hôpital a été bombardé et la fumée s'échappait des étages supérieurs. Quand les soldats se sont approchés, Shaker a immédiatement fermé le portail en hurlant: "l'entrée est interdite, il y a des patients ici, des malades, des blessés. Vous, les envahisseurs, reculez… Vous les meurtriers arrêtez-vous. Reculez, reculez. Je ne vous laisserai pas entrer..."
Le nom de Shaker a été ajouté à la liste des martyrs.
La vie sous les bombardements 128
Naji
La guerre dure: une semaine est passée, puis deux, un mois, puis six... Sourd aux avertissements de sa mère, Naji décide de rentrer chez lui. La route du retour est longue et périlleuse. De nombreuses questions le taraudent: quel chemin sera le plus sûr ? La rue des supermarchés? La route 86? Ou peut-être l'itinéraire de Hajj Hussein. S’il arrive chez lui sain et sauf, il entrera dans sa chambre et s'y couchera, même pour quelques minutes seulement. Il fera du café. Il cueillera une pomme sur l'unique pommier et mettra dans son sac autant de pommes qu'il pourra. Ils seront heureux dans le camp de manger ces fruits dont ils ont oublié jusqu'à l'odeur..
Sa mère a attendu le retour de Naji un jour puis deux... mais son fils n'est pas revenu. La mère a décidé de rentrer chez elle pour le chercher. Elle est partie, mais elle n'est encore pas de retour...
La vie sous les bombardements 129
Le char
Depuis l’aube, des bombes éclatent en mille fragments avant de toucher le sol, tuant, brûlant et détruisant. Le bombardement est incessant. Une mort certaine attend ceux qui sortiraient de chez eux, alors ils restent à l'intérieur, couchés, face contre terre. Avant le lever du soleil, les chars ont envahi le quartier, arrachant les arbres, détruisant les maisons, les magasins et d'autres installations. Puis les soldats ont investi le quartier et ont sommé les habitants de l'évacuer par un unique couloir. Des cadavres jonchent les rues. La terreur et la peur sont partout. Les balles volent au-dessus des têtes dans toutes les directions, et frappent les murs.
Trois jours plus tard, les soldats se sont retirés, les bulldozers et les chars ont quitté le quartier. Seul reste un unique char, abandonné, sans soldats. Les habitants sont retournés dans ce qui restait de leurs habitations. Ils ont rassemblé leurs morts et ont tenté de rétablir l’accès à leurs maisons. Quand, de loin, les enfants ont vu le char, ils s'en sont approchés prudemment tel un groupe de renards. Arrivés près du char, ils tournent autour, le touchent et montent à bord pour essayer de le conduire. Ils examinent son canon. Depuis un avion un obus est tiré. Il explose près du char dans un grand vacarme. Quelques enfants réussissent à s'échapper, mais un second projectile détruit le char. Un épais nuage de fumée s'élève et tourbillonne vers le ciel. Un nouveau massacre d'enfants vient d’être perpétré.
La vie sous les bombardements 130
Kamal
Ses cheveux sont longs. Ils lui arrivent jusqu'aux épaules. Son visage est rond, couleur de blé mûr. Kamal est un artiste. Il est réalisateur de cinéma et il voyage beaucoup. Quand la guerre a éclaté, il a fui avec les gens de son village et vit comme les autres sous une tente. La guerre s’est éternisée. Les jours, les semaines, les mois se sont succédé. Kamal a rassemblé les rescapés de son équipe. Il gère et il répartit le travail. Il se déplace de tente en tente, de camp en camp, d'accident en accident, riant parfois, pleurant souvent, jusqu'à gémir. Parfois Il est contraint de cesser de filmer, d'enregistrer, de documenter ou de photographier. Le soir, l'équipe se réunit à la cafétéria du camp pour boire du thé fort. Kamal joue de son vieil oud et chante: « Haï...aï...aï..aï, la guerre finira, Luay retournera à l'école, notre voisin plantera un jasmin, haï...aï...aï...aï... Notre voisin Ahmed ouvrira un magasin, Sami épousera la fille du voisin, haï...aï...aï...aï... ».
Un jour, l'équipe de Kamal est partie couvrir le massacre de Nusseirat. Leur voiture a été bombardée et elle a brûlé. Depuis, tous les soirs, à la cafétéria du camp, on peut entendre la chanson de Kamal…
La vie sous les bombardements 131
Rinad
Depuis l’enfance, Rinad aime la lecture, la littérature et les romans. Sa page Face book est riche d'extraits de littérature locale et internationale.
Rinad est en quatrième année à l'Université Al-Azhar, avec une spécialisation en littérature arabe. Elle est membre du Conseil étudiant. En tant que syndicaliste elle dirige les réunions du conseil avec expérience et compétence. Elle dialogue avec tous faisant preuve de beaucoup de tact. Elle prend partie pour les étudiants pauvres, défend leurs droits, et les intègre dans les activités de l'université et de la société.
Pendant la guerre, Rinad a fui avec sa famille vers les abris de d'Almawasi à Rafah. Elle a organisé les gens, est passée de tente en tente et a dressé des listes des familles les plus nécessiteuses.
Au cours du huitième mois de la guerre, les soldats se sont approchés des tentes. Des balles aléatoires étaient tirées jour et nuit. Une nuit, fatidique, Rinad a voulu aller aux toilettes. Une balle perfide a transpercé sans pitié son cœur. Les habitants du camp l'ont pleurée avec tristesse et douleur. Pendant les condoléances Hajjah Umm Ibrahim submergée par la douleur a dit : "Après toi, Rinad, qui nous protégera et protégera les pauvres? Que les jardins éternels t’accueillent, toi, fille merveilleuse."
La vie sous les bombardements 132
Aïd
Abu Samir aime les gens. Les pauvres et ceux qui sont dans le besoin se tournent vers lui quand ils le souhaitent. Sa maison, son bureau et sa ferme sont ouverts à tous. Il a hérité d'une grande fortune de son père. Ses projets se sont développés grâce à ses compétences, son obstination et ses capacités de gestion et de commercialisation. Le jour de l'Aïd al-Adha (fête du sacrifice) il se déplace dans sa voiture de maison en maison, distribuant de la viande et de l'argent à toutes ses connaissances qui sont dans le besoin.
Quand la guerre a éclaté, Abou Samir a fui l'intensité des bombardements, de quartier en quartier. Il a fini par s'installer dans une tente à Khan Younès. Sa maison et son bureau ont été démolis. Tous les palmiers et les arbres fruitiers de sa ferme ont été arrachés. Le jour de l'Aïd est venu et Abu Samir n'a même pas de quoi acheter une bouteille d'eau. Il est déprimé et triste. Il parle peu, il ne sort que rarement de la tente et évite tout contact avec les autres. Sa femme, Khadija, porte le voile. Elle fait la queue pour obtenir un peu de nourriture. Elle appelle sa sœur Hasna pour se plaindre de son état et de celui d'Abu Samir. Elle s'isole au coin de la tente pour sécher ses larmes. Elle prie, supplie le créateur chaque matin pour qu’il mette fin à toutes ces difficultés.
La vie sous les bombardements 133
Amal
Elle est grande, gracieuse et sensible. Sa voix est belle et elle chante avec talent les chansons de Fairouz. Elle a obtenu son diplôme universitaire, il y a plusieurs années, dans le domaine du journalisme et de l’information. Elle a travaillé comme animatrice au sein de plusieurs stations de radio. Elle a remporté de nombreux concours grâce à sa belle voix. Lorsque la guerre a éclaté Dina travaillait jour et nuit pour participer à un concours international de courts-métrages. Comme les autres, Amal s'est enfuie et s'est cachée dans un petit refuge. La maison voisine du refuge a été bombardée. Amal et sa sœur Ahlam ont été blessées et d'autres ont été tuées. Amal a perdu sa main et sa voix. Elle écrit sur WhatsApp de belles petites histoires sur la justice et un monde sans guerre. Chaque matin, elle écoute les chansons de Fayrouz et des chants andalous qu'elle aime. Et elle pleure.
La vie sous les bombardements 134
À Mahmoud
« Mahmoud chéri. Je vis avec ma famille dans le nord. Mon père, comme tu le sais, est têtu. Il a refusé de fuir vers le sud. Nous sommes restés dans l'ancienne maison de mon grand-père. Les maisons autour de nous ont été détruites. Des fragments de bombes ont brisé des panneaux solaires et des fenêtres, et arraché quelques portes. Nous sommes restés en vie, du moins jusqu'à maintenant. Tu me manques tellement que je pense sans cesse à toi pendant la journée. La nuit, je rêve de toi. Ma vie est vide sans toi. Tout mes remerciements à mon amie Najwa, qui m'a rassuré sur toi et m'a donné ton nouveau numéro de portable. Toutes mes condoléances pour le décès de ta mère. Je sais que la vie est très difficile sans mère. Je t'envoie ce message depuis le téléphone portable de mon oncle Naim. J'ai perdu le mien dès la première semaine de la guerre.
Mahmoud, je sais bien que tu ne peux pas rejoindre le nord mais je voudrais tant te voir, t'entendre et t'embrasser. Cette guerre maudite est interminable. Je me demande, combien de temps dureront ces tourments ? Combien de temps encore? »
La vie sous les bombardements 135
La bédouine
Aïcha vit à Juhr al-Dik, une colline haute et tranquille, au sud de la ville de Gaza, à 500 mètres de la ligne d'armistice. Aïcha ne s'est pas mariée et n'aime pas parler de mariage. Elle à quitté l'école après la sixième pour s'occuper des moutons de son père. Après la mort de celui-ci, Aïcha a développé son propre projet: posséder une vache, puis plusieurs. Elle a participé à une formation (Comment élever des abeilles) et possède désormais de nombreuses ruches. Elle récolte le miel et le vend. Elle se lève tôt pour planter du trèfle et du maïs. Elle laboure la terre avec son poulain, une bête vaillante. Elle trait les vaches, va au marché où elle vend du lait aigre et du fromage.
Pendant la guerre, Aïcha a dû s’enfuir. Elle n'a pu transporter aucun de ses biens. Elle parle aux femmes du camp de ses vaches et de ses abeilles, de son poulain et de son champ. Des mois et des mois ont passé. Elle essaie d'imaginer ce que les militaires ont pu faire avec leurs canons et leurs chars, à son poulain, à ses vaches et à ses abeilles. Hier, le maire lui a dit : « Aïcha, nous ne pouvons pas rentrer chez nous car la région a été classée zone tampon. »
La vie sous les bombardements 136
L'ânesse d'Abou Khamis
L’ânesse d’Abou Khamis est de couleur blanche, avec un cercle noir sur son épaule droite. Elle est dans son deuxième mois de grossesse. Abu Khamis a fui les bombardements, dimanche, au deuxième jour du de la guerre. Il s'est enfui avec sa femme et ses enfants. Il n'a pas pu emmener l’ânesse avec lui. Il a ouvert la porte de la grange pour la laisser libre de brouter. Pendant huit mois, Abu Khamis a fui de camp en camp, d'un endroit à l'autre, de bombardements en bombardements. Quand l’intensité de la guerre a baissé, certains ont osé revenir en ville. Abou Khamis est parti à la recherche de son ânesse. Il est passé dans les quartiers est et sud, les quartiers El-Astal, Lahyat El-Khashashna, Samiriyeen, Mohanni, Farawah et Abedin. Dans les quartiers de Jiyeh et Abadla. Depuis deux semaines, sans cesse, il décrit son ânesse, précisant la forme, la couleur, la taille de l’animal ainsi que la tache sombre sur son épaule. Elle est enceinte de dix mois, à deux mois de la naissance. Abu Khamis rentre chaque soir et chaque matin il reprend inlassablement ses recherches.
La vie sous les bombardements 137
Tom le chat de Rimas
Rimas salue son chat chaque matin quand elle part au travail. A son retour, elle le retrouve qui l'attend près des escaliers de la maison. Tom est docile, ne vole pas et ne se montre jamais agressif. Il attend l'heure du repas. Il le lui rappelle si elle l'oublie. Il connaît tous les membres de la maison, leurs habitudes, leurs chambres, les heures de leur coucher et de leur réveil, qui est actif ou pas. Rimas et sa famille aiment Tom, le défendent, le protègent, le nettoient et le soignent.
En raison de l'intensité des bombardements, la famille a fui, pensant quitter la maison pour un jour ou deux. Mais la guerre a duré des semaines puis des mois, et chaque jour la famille se pensait à Tom le chat, à son attachement et à sa loyauté. Elle cherche des informations sur le quartier ou la maison où il se trouve. Mais les soldats ont pris les lieux d'assaut. Les chars et les bulldozers ont semé la destruction et la dévastation dans le quartier. Les arbres ont disparu et la terre est devenue stérile. Les routes ne sont plus que pierres et gravats. Pendant des jours et des jours, la famille a cherché Tom, dans le quartier et aux alentours, mais Tom a disparu et ne reviendra sans doute jamais
La vie sous les bombardements 138
Aed
Aed aime sa cousine, il l'a demandé en mariage et sa famille a accepté. Aed a travaillé d’arrache-pied pour collecter la dot. Sa mère, très heureuse, aidée par la tante Amena, a acheté le nécessaire pour la nouvelle famille. Elle a mis une couronne de fleurs sur le mur et une longue bande de papier de couleur dans et autour de la maison. Des invitations au mariage ont été adressées à toute la famille, aux parents, aux oncles, tantes et aux amies.
Le lundi précédent les noces, la guerre a éclaté et les gens ont fui, Les maisons ont été démolies et les chars ont piétiné les couronnes et les bandes de papier de couleur. Aed a trouvé un travail de vendeur de pain dans le camp. Il a monté une petite tente avec une petite ouverture et un simple matelas par terre. Aed s'est marié, sans cérémonie. Pas de salle, ni de fête. Pas de repas, pas de chanson, pas même un seul youyou. D'un ton encourageant sa mère a dit: « Aed mon fils, nous souhaitons que tu sois un garçon courageux comme l'était ton frère martyr. Puis elle inspira une grande quantité d’air et poussa doucement un long soupir.
La vie sous les bombardements 139
Houmous et falafels
Depuis l'aube, Abu Khalil est assis sur la vieille chaise derrière la table ancienne. Il regarde calmement les clients, sourit légèrement, demande au garçon de nettoyer la table, d'ajouter du poivre sur la table du coin ouest et de mettre plus d'oignons à la table de son vieil ami Abu Saleh. Depuis son enfance, Abu Khalil gère le restaurant du matin jusqu’au soir. S'il sait que quelqu'un est dans le besoin il fait un don sans hésiter pour l'aider. Le pays tout entier connait son restaurant. Abu Khalil refuse de faire la livraison à domicile malgré l'insistance de ses enfants. Il leur dit : « Celui qui veut notre houmous et nos falafels doit venir s'asseoir et nous tenir compagnie. »
Pendant la guerre, Abu Khalil est mort sous la tente. À Khan Younès, ses fils ont ouvert un restaurant sur la route Al-Rashid. Ils y proposent des falafels au feu de bois, sans houmous, sans chaises ni tables, sans oignons ni piments. Hassan, l'un des petits-enfants d'Abu Khalil, a déclaré : « Nous retournerons au pays et nous rouvrirons le restaurant d'Abu Khalil et nous recevrons ceux qui restent de nos clients. Il y aura des chaises, des tables, de l’houmous, des haricots, des oignons et des piments. »
La vie sous les bombardements 140
Hana
Hana est belle, délicate et instruite. Elle aime les gens. Elle a terminé ses études secondaires, puis elle a obtenu son diplôme universitaire dans le domaine des arts. Elle a cherché du travail pendant des années puis elle a fait une formation en esthétique. Elle a ouvert son institut et a embauché des employées. Elle s'est mariée. Le médecin lui a dit : Tu ne peux pas avoir d'enfants, tu as un problème important. Hana n'a pas désespéré. Seize ans plus tard, elle a donné naissance à des jumeaux qu'elle a appelé Rizek et Saleh. Toute la famille, les voisins et tout le quartier l'ont félicitée. Des années plus tard, elle a déménagé dans une nouvelle maison où il y avait une chambre pour Rizek et une autre pour Saleh. Elle était heureuse dans son travail et fière de ses garçons. Chaque matin, elle leur faisait des câlins et le soir elle leur chantait des chansons tendres de sa voix douce et belle. Depuis le début de la guerre Hanaa vit avec sa vieille mère, sans son mari, sans Rizek ni Saleh. Triste et déprimée et elle ne quitte plus la tente. Ayant perdu tout ce qu’elle chérissait, elle implore Dieu de hâter sa mort.
La vie sous le bombardement 141
Mon nom ou le nom du cheval ?
Grand, sa couleur est celle d'un fruit de caroube mûr, ses dents sont blanches comme l'écume de mer. Abu Nahar vit dans une cabane à la périphérie de la ville. Il est marié à deux femmes et père de plusieurs enfants. Il est marchand de moutons et occasionnellement agriculteur.
Le premier jour de la guerre, ses moutons ont été décimés. Seuls deux brebis ont survécu, ainsi que le cheval. La famille a été épargnée et s’est réfugiée près de la mer. Quand les cuirassés ont envoyé des bombes incendiaires, de nombreux trous ont été ouverts dans le toit de la maison. Tôt le matin, Abou Nahar a quitté sa maison pour rejoindre les moulins à blé. Une semaine plus tard, l'avion a bombardé celui qu’ils occupaient. Abu Nahar a choisi un endroit adjacent à un abri de l'UNRWA. L'école a été bombardée et Abu Nahar a planté les piquets de sa tente près de l'usine de dessalement de l'eau. Un mois plus tard, les soldats ont encerclé le lieu et ont demandé à tout le monde de l'évacuer immédiatement. Après avoir arrêté le cheval l'officier a demandé: "Vous, quel est votre nom ?" Abu Nahar a dit : "Vous voulez mon nom ou le nom du cheval ?" "Ton nom à toi, espèce d'âne." "Je suis Abu Nahar." L'officier a dit : "Quoi ? Quoi ?" d'une voix forte, "Je suis Abu Nahar." "Rejoignez le poste d’interrogatoire." a violemment répondu l'officier.
La vie sous les bombardements 142
Saoud
Brun, il parle couramment l'anglais, maîtrise parfaitement l'informatique et veut devenir basketteur, comme son oncle Ismail. Saoud n'a pas terminé la classe de huitième. Son père est professeur au département de physique de l'université. Sa mère, Wadha, est infirmière aux urgences. Saoud est le benjamin d'une fratrie de cinq enfants. Il vit dans une belle maison avec un petit jardin accueillant avec un parasol pour les invités et les visiteurs, et un garage pour les voitures. La maison a été bombardée et tous les habitants sont morts en martyrs. Seul Saoud a miraculeusement survécu.
Il dort entre les roues d'un camion aux roues larges et solides. Saoud espère que le camion bougera et que sa vie se terminera sans qu'il s'en rende compte, afin qu'il puisse rejoindre ses parents et ses frères et sœurs.
La vie sous les bombardements 143
Um Murshid
Veuve, elle a plus de cinquante ans. Son fils, Murshid, a été tué en martyr près de la frontière en 2014. Um Murshid se souvient très bien des vertus de son fils. Elle a accroché une grande photo de lui dans un endroit bien en vue de la maison. Um Murshid porte l'habit traditionnel. Elle est audacieuse et créative. Elle vend des poulets et des œufs sur le marché local. Elle transporte ses marchandises, tôt chaque matin, sur sa voiture à âne.
Depuis le début de la guerre, elle a perdu sa maison, ses poules et les œufs. Elle a fui d'un endroit à l'autre avec son âne. La guerre s’éternisant Um Murshid a dû trouver un emploi. Après chaque bombardement, elle part avec sa charrette à la recherche des morts et les ramène à leurs familles en échange d'une somme d'argent. Les personnes endeuillées s’adressent à Um Murshid, souhaitant avec regret le retour de leur défunt. Um Murshid a une longue liste de morts, avec un lieu et un plan de route. Um Murshid s’acquitte dignement de sa tâche et déteste les pleurs et les jérémiades.
La vie sous les bombardements 144
Plus de nouvelles
Les bombardements se sont intensifiés. Les gens ont fui. Naeem et son fils Saeed étaient en retard. Le char les a précédés, a bloqué la route ; leur première chambre a été bombardée et ils se sont réfugiés dans la deuxième. Ils se sont cachés sous les escaliers. Des soldats avec des chiens ont envahi la maison. Les soldats leur ont attaché les mains et les pieds. Ils ont été soumis à des interrogatoires pendant des jours, sans nourriture ni boisson, sans repos ni sommeil, faisant leurs besoins dans leurs vêtements. L'officier dit : « Il n'y a pas de place pour vous sur cette terre. Vous méritez l'emprisonnement et la mort. » Deux mois plus tard, le père, Naeem, est sorti, triste et déprimé. Quant au fils, Saeed, plus de nouvelles de lui…
La vie sous les bombardements 145
Mansour
Il est petit, il a les cheveux frisés. Le grand-père d'Odeh l'appelait l'aigle en raison de son esprit vif et de sa persévérance. Mansour a terminé ses études secondaires et a travaillé avec son oncle Mahmoud dans le bâtiment et la construction. Il est devenu un carreleur réputé pour sa rapidité et sa qualité d'exécution.
Pendant la guerre, Mansour et sa famille ont fui et ont loué une maison près de la route principale. Les soldats ont pris d'assaut son ancienne maison et l'ont démolie. Un char a détruit son véhicule de travail. Une semaine plus tard les bombardements se sont approchés de la maison de location. Mansour a dû fuir à nouveau. Un char a bombardé la maison détruisant son côté droit. Quelques jours plus tard, Mansour et son ami Atef se sont faufilés dans les ruines pour récupérer ses vêtements et ceux de ses enfants. Un avion les a interceptés. Mansour a été déchiqueté et son ami a été mortellement blessé. Dix jours plus tard, les soldats se sont retirés vers une autre zone. Mansour et son ami ont été enterrés. Mansour a laissé une femme et deux enfants magnifiques.
La vie sous bombardement 146
Le Cheval de Jumah
Avant la guerre, Jumah a acheté un petit cheval, qu'il a appelé Sakhr. Il en a pris soin et l'a entraîné. Il a fabriqué de ses propres mains une charrette solide, tirée par Sakhr. Dès le matin il part labourer dans les fermes voisines. Jumah s'est marié à quarante ans. Il a deux fils qui ne sont pas encore scolarisés. Jumah leur raconte des histoires passionnantes sur les chevaux, les travaux dans les fermes, les plantations et les récoltes. Il est content de ses enfants et de son travail. Un premier obus est tombé à moins de cent mètres de la maison. Jumah s'est réveillé en sursaut et a décidé de s'enfuir mais sa femme lui a demandé d'attendre le matin. Jumah a chargé tout ce qu'il pouvait et il est parti vers Almawasi. Jumah a dit aux deux enfants : « Nous allons habiter ici, sous cette tente, et nous y dormirons pendant des jours. « Il leur a raconté des histoires qu'il avait entendues de son père sur la guerre, l'horreur, la terreur, et comment ils étaient courageux. Le petit garçon a demandé: « Est-il vrai que des gens meurent à la guerre ? Que les chars détruisent les maisons et piétinent les adultes et les enfants. » Le père a répondu : « N'ayez pas peur, je vais au marché acheter des fruits et des bonbons. » Jumah a trouvé le marché en feu. Il est revenu sans fruits ni bonbons.
La vie sous les bombardements 147
La fin de Talou
Il a de grosses lèvres, des mains courtes et une large poitrine. Les gens l’ont toujours connu sous le nom de Talou, le pauvre Talou. Personne ne connaît son vrai nom. Abu Sayyah raconte qu'il est venu de la ville à dix ans. Talou se réveille avant le lever du soleil. Il marche, en boitant, le long de la voie publique. Il se repose derrière le haut mur de ciment et il s'endort à l'ombre du grand sycomore. Lorsqu'il a faim ou s’il se sent exposé à un danger, il se réfugie dans la maison d'Al-Hajjah Oum Yassine qui le nourrit, le protège. Elle lui achète des vêtements tous les ans. Quand il s'absente longtemps elle le cherche. Il marche derrière elle calmement, écoute ses conseils et obéit poliment à ses ordres. Quand les bombardements se sont approchés de la ville, les gens ont fui en emportant leur équipement. Talou se reposait près du mur. On l'a incité à s'enfuir, mais il a ri en disant : « Pour aller où? » Le bruit des bulldozers et des chars s’est rapproché, les maisons ont été détruites, les arbres déracinés. Les routes et les ponts ont subi le même sort, les uns après les autres. Talou se cachait derrière le tronc d'un arbre quand un tireur l’a atteint d’une balle dans la poitrine. Dix jours plus tard les soldats se sont retirés. La ville s'est vidée des soldats, des bulldozers et des chars. Les habitants sont revenus. Oum Yacine n’a retrouvé ni le mur ni le sycomore. Ils ont cherché en vain le corps de Talou. On ne l’a pas retrouvé.
Sous les bombardements 148
Haider
Echevelé, pieds nus, avec sa barbe clairsemée, Haider pourrait passer pour un idiot. Il a une femme et des enfants. Il vit à derrière un haut mur. En été, des plants de citrouilles grimpent dessus et des oiseaux nichent sur certaines de leurs branches. Son jardin est fermé par un grand et haut portail qui grince légèrement lorsqu'on l'ouvre et le ferme. À l'intérieur de l’enceinte se trouvent de belles fleurs de toutes les couleurs et des arbres fruitiers variés: orangers, bananiers, pommiers, figuiers. Et deux treilles où murissent des raisins, l'une près de la porte et l'autre au bout de l'allée. Haider passe son temps dans le jardin. Le soir, il sort et rejoint le salon d'Abu Al-Saeed. En sa compagnie, il boit du thé et du café, écoute les nouvelles de la ville: le prix des moutons, la brutalité de l'occupation. Il suit les informations concernant l'Amérique, la Russie, l'Ukraine, l'Afrique du Sud et le Soudan.
Pendant la guerre, un avion a bombardé la maison d’Abu Al-Saeed et son salon a été détruit. Un bulldozer a démoli le mur de Haider et son jardin.
Dans le camp de réfugiés, Abu Al-Saeed reçoit les condoléances et pleure amèrement son ami Haider et sa famille.
La vie sous les bombardements 149
Nassim
« Où es-tu ? Es-tu déjà arrivé ? Laisse-moi parler à ton ami Hassan. Ne t'approche pas des lieux bombardés. Fais attention. Nassim... Nassim, je t'attends mon chéri. Que Dieu te protège toi, tes amis et tout le monde. »
La mère de Nassim est toujours inquiète. Elle ne se calme pas jusqu'à ce qu'il revienne, ne mange pas tant qu'il n'a pas mangé et ne dort pas tant qu'il ne dort pas.
Quand les bombardements ont débuté en provenance d’un lointain canon, les gens ont pris la fuite, emportant tout ce qu’ils pouvaient. Puis les soldats ont pris d'assaut la ville avec leurs chars, se déplaçant de route en route, de maison en maison. Et le sang s'est mêlé au sable des chemins. Après trois jours, quand les tirs ont cessé. Nassim s'est glissé dans la ville. Des soldats l'ont vu et l’ont poursuivi, le traquant comme un cerf en fuite. Arrivé près du mur de l'école, Nassim a tenté de se cacher à l’abri de la clôture. Mais le char a tiré un obus, démolissant le mur et tuant Nassim. Sa mère en a perdu la tête. Depuis, elle fait le tour des amis de Nassim et les interpelle. Chaque fois qu'elle passe devant un groupe de jeunes, elle demande : « Avez-vous vu Nassim ? Dites-moi, pour l'amour de Dieu, dites-le-moi. Rendez-moi Nassim. »
La vie sous les bombardements 150
Jadallah
Jadallah possède un grand garage pour réparer toutes sortes de voitures. Ses trois fils, Ali, Youssef et Younis, partagent le travail avec leur père. Celui-ci reçoit parfois des clients. Il prodique des conseils. Younis s’occupe de la comptabilité de l’entreprise.
Pendant la guerre, la famille s'est enfuie vers un endroit qu'elle croyait sûr. Un obus a incendié le garage. Ali et Youssef sont revenus pour inspecter la maison. Un tireur d'élite les a surpris. Une balle a tué Ali. Youssef a tenté de le secourir mais il a subi le même sort. Le père, informé du martyre de ses fils s'est précipité à leur secours. Le tireur qui l'attendait l'a abattu. Younis a voulu les rejoindre mais sa mère l'a retenu, le prenant dans ses bras en hurlant. Les gens se sont rassemblés autour d'elle pour s'interposer entre Younis et la mort. Une semaine plus tard les soldats ont quitté le quartier. Younis et sa famille sont rentrés chez eux avec les corps du père et de ses deux fils pour leur faire leurs adieux. Dans une tristesse et une douleur inconsolables.
La vie sous les bombardements 151
Professeur Saad
Il est professeur d'anglais le matin et bénévole l'après-midi pour enseigner aux adultes. Traducteur de nombreux romans, auteur de projets pour des institutions émergentes il est actif dans de nombreux forums pédagogiques. Le professeur Saad est connu de tous au village. Il est avenant, très compétent et soutient de nombreuses activités sociales. Sa maison est composée de deux pièces en tôle qui contiennent de nombreux livres et des magazines. Elle est entourée d'un grillage envahi par des plantes grimpantes qui protège son côté nord. Pendant la guerre, la maison et la clôture ont été démolies, les livres et les magazines éparpillés et incendiés. L'école voisine et son mur ayant aussi été détruits, le professeur Saad s'est enfui à vélo vers une zone plus sûre. Depuis, il se déplace de tente en tente, distribuant du pain et de l'eau aux déplacés du camp.
La vie sous les bombardements 152
La mariée
Ismail travaille avec attelage. Il se réveille à l'aube, donne de la nourriture et de l'eau à son cheval puis il va au marché, transportant des légumes et des marchandises pour les distribuer. Peu avant midi, il rentre chez pour se reposer et l'après-midi il repart vers la mer, transportant sur sa charrette des passagers et quelques charges. Il rentre au coucher du soleil et se couche tôt.
Ismail désirait se marier. Sa mère lui a dit : la fille de nos voisins est une fille de bonne famille. Soumaya la fille d'Abu Ahmed est courageuse, elle fait la prière, respecte le jeûne et se lève tôt comme nous. Ismail a réfléchi et dit à sa mère en souriant : « Accepteraient-ils une union avec un pauvre propriétaire de calèche comme moi ? » Sa mère l'a serré dans ses bras et lui a dit : « Ismail, tu as grandi ici et tout le quartier sait que tu es valeureux et vaillant. Oh, Ismail, comme j'espérais ce jour ! Le jour de ton mariage je danserai jusqu'à user mes chaussures jusqu’à la corde. »
Puis la guerre a éclaté, la maison d'Ismail et celle de la famille de Somaya ont été détruites. Le mariage a été reporté, et Soumaya a pleuré.
Ismail continue de travailler, transportant les déplacés d'un endroit à l'autre, de camp en camp, d'un lieu de combat à un endroit plus sûr. Entre un obus et l'autre, il transporte les corps et les blessés.
Ismail a acheté une belle tente, l’a décorée d'un ruban de la couleur du drapeau et il a épousé Somaya, sans cérémonie, pas même un seul youyou, et la mère d'Ismail n'a pu ni chanter ni danser.
La vie sous les bombardements 153
L'école Kamel
Le quartier est isolé et pauvre. Les enfants n'ont pas d'école. Quand un membre du conseil municipal a dit : « Il nous faut un terrain pour y construire une école », Marzouk a fait don de sa parcelle. Kamel a dit : « Je paierai pour l'école. ». Hassan a répondu : « Nous l'appellerons "l'école Kamel pour enfants ". Les enfants regardent la nouvelle construction et la désignent avec joie: « c'est une école… c'est notre école ». Depuis des mois ils regardaient le chantier et attendaient leur école. Enfin « l’école Kamel » s’est dressée au milieu du quartier, haute et imposante, avec de nombreuses salles de classe, des laboratoires et des terrains de jeux. Autour, on a planté des arbres. De belles fleurs multicolores ont été peintes sur ses murs où l’on a écrit en grosses lettres : « L'éducation est un droit pour tous ».
Le premier jour, les enfants, portant fièrement leurs cartables, se sont mis en rang. Et ils ont chanté pour l'école et la patrie.
Quand la guerre a éclaté, les enfants se sont enfuis. Leurs cahiers, leurs livres et leurs rêves sont restés là.
L'officier envahisseur a dit à l'unité du génie : « Bombardez cette école, supprimez-la, rayez-là de la carte ». Dans l'après-midi du jeudi 29 juin, l'école a été bombardée. Sa poussière s'est élevée dans le ciel jusqu'à atteindre les nuages. Ses pierres ont été projetées en l'air dans toutes les directions. Les cahiers et les livres des enfants ont été brûlés et leurs rêves se sont évaporés. Les soldats ont été félicités et leur char s’en est allé dans un rugissement de tonnerre.